Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mardi 9 décembre 2008

The starry night shall tidings bring, Emily Brontë


Droits d'auteur obligent, ce poème d'Emily brontê que j'ai fait apprendre en quatrième dans la traduction de Pierre Leyris, ne peut figurer ici dans la même traduction, en voilà donc une de mon cru qui évidemment ne vaut pas l'autre, mais si Bachelard a raison, les images d'Emily devraient malgré tout se faire ressentir...

THE STARRY NIGHT SHALL TIDINGS BRING

The starry night shall tidings bring°:
Go out upon the breezy moor,
Watch for a bird with sable wing,
And beak and talons dropping gore.

Look not around, look not beneath,
But mutely trace its airy way°;
Mark where it lights upon the heath,
Then wanderer kneel down and pray.

What fortune may await thee there
I will not and I dare not tell,
But Heaven is moved by fervent prayer
And God is mercy - fare thee well°!

Emily Brontë, Poems, November 1838.


La nuit étoilée est chargée de nouvelles :
Va-t-en arpenter la lande sous le vent,
Suis le vol de l’oiseau à l’aile noire,
Bec et serres sanguinolents.

Ne regarde ni autour de toi, ni en dessous,
Mais, en silence suis son trajet dans les airs ;
Remarque, sur la lande, sa trace lumineuse,
Alors mets-toi à genoux et prie.

Quel destin t’attend en ces lieux
Je ne veux, je n’ose le dire,
Mais le ciel s’émeut des prières ferventes
Et Dieu est merci - qu’il te soit favorable !

Emily Brontë, Poèmes, trad. Stéphane Labbe


jeudi 4 décembre 2008

A propos de Charlotte et d'Emily


Quelques mots sur les soeurs Brontë dont j'ai reproduit quelques poèmes. Le fait d'avoir étudié le roman pour les quatrièmes, d'arriver au terme d'un long article sur Jane Eyre, m'a obligé à réactiver ces lectures d'adolescent dont je me sentais bien éloigné. D'autant plus qu'il y a quelques années j'avais lu Le Professeur de la même Charlotte Brontë, que j'avais trouvé ennuyeux, terne, moralisateur et, en un mot : indigeste.

Relire Jane Eyre m'a réconcilié avec Charlotte, même si le roman est plein d'invraisemblances (que penser de ces hasards qui conduisent Jane chez ses cousins dont elle igorait l'existence? De Rochester qui ne trouve rien de mieux à faire que de se travestir en bohémienne pour éprouver sa bien aimée ? ...) Pourtant le roman fonctionne, il y a des passages magiques tant par leur poésie (Jane qui, dans la glace se voit figée en plein territoire des morts, le romantisme de la demande en mariage, le pathétique de sa dérive... ) que par leur efficacité dramatique (le rire de Berthe qui hante tout le roman), Charlotte était une grande artiste. Emily était un génie.

Il y a quelque chose de fascinant dans cette famille d'artistes maudits, tous possédés du démon de la création. Gallimard a eu la bonne idée de publier les Juvenilias, ces récits que les quatre enfants ont élaborés souvent en binômes.
Charlotte et Branwell bâtissaient le royaume d'Angria quand Emily et Anne se réfugiaient à Gondall. C'est Branwell qui, semble-t-il eut l'idée de ces récits; attribuant une personnalité à ses soldats de plomb, il aurait entraîné ses soeurs dans ces récits échevelés pleins de souverains sanguinaires et de châteaux dont les caves dissimulent salles de tortures et souterrains mystérieux.
Et puis Charlotte se désintéressera de Branwell, l'enfant gâté, trop adulé par un père qui n'avait eu foi qu'en son garçon. Branwell, l'enfant terrible, incapable de garder un emploi, de se montrer à la hauteur de ses aspirations artistiques, c'est alors Emily qui, avec patience, ira chercher ce frère qui gaspille sa vie et sa santé dans les tavernes et qui veillera à son chevet, supportant patiemment ses sautes d'humeur d'alcoolique opiomane.
Emily, Charlotte les deux pôles de la création artistiques, les deux tempéraments de la famille! Elles me font penser à ces couples gémellaires dont l'un, tourné vers l'extérieur cherche à s'échapper pour se tourner vers le monde et dont l'autre, à tout jamais effarouché, n'aspire qu'à retrouver la sécurité du couple. Charlotte qui partira étudier à Roe Head, qui est à l'initiative de l'expédition bruxelloise, Emily qui forte des mêmes expériences ne désire à chaque fois qu' une chose : retrouver Haworth, son presbytère, sa lande chérie, ses chiens...
Charlotte voudrait écrire sur un monde extérieur qu'au fond elle connaît mal, Emily se tourne vers son monde et nous en donne une vision hallucinée, terriblement vivante, qui prend corps parce qu'elle s'alimente aux sources les plus profondes de l'être, dans ce mouvement de communion avec la nature où l'âme se ressource et se déploie, auscultant les différentes facettes de son expansion possible, aussi bien dans l'infini de l'amour que dans l'abjection du mal et des instincts animaux. Charlotte ou les séductions de l'ailleurs, Emily ou la pureté de l'absolu, ici et maintenant dans le sifflement des vents qui érodent les moors.

mercredi 12 novembre 2008

Quand Emily Dickinson philosophe :


Perception of an object costs
Precise the Object's loss -
Perception in itself a Gain
Replying to its Price -

The Object Absolute - is nought -
Perception sets it fair
And then upbraids a Perfectness
That situates so far -

Emily Dickinson, Poem 1071, 1866, Poems.

La perception d’un objet coûte
Précisément la perte de l’objet -
La perception, en elle-même, est un gain
Qui répond à son prix -

L’objet absolu - n’existe pas -
La perception le rend beau
Et, reproche ensuite cette perfection
Par trop éloignée.


Emily Dickinson, Poème 1071, trad. Stéphane Labbe.

mardi 11 novembre 2008

Arbres d'hiver de Sylvia Plath



Sylvia Plath s’est suicidée en 1963, elle avait trente-et-un an, elle laissait derrière elle une oeuvre poétique énigmatique et belle, un roman et deux enfants. Au delà de la victime légendaire, d’une société de consommation absurde, il convient de découvrir la virtuosité d’un poète habité, qui génère des images denses et fortes.

Winter Trees

The wet dawn inks are doing their blue dissolve.
On their blotter of fog the trees
Seem a botanical drawing -
Memories growing, ring on ring,
A series of weddings.

Knowing neither abortions nor bitchery,
Truer than women,
They seed so effortlessly!
Tasting the winds, that are footless,
Waist-deep in history.

Full of wings, otherworldliness.
In this, they are Ledas.
O mother of leaves and sweetness
Who are these pietas?
The shadows of ringdoves chanting, but chasing nothing.

Sylvia Plath, “Winter trees”, Winter trees, 1972.

L’encre bleue d’une aube humide se dilue
Sur le buvard brumeux les arbres
Ressemblent à des esquisses d’herbier -
Mémoires qui, cercle après cercle, s’accroît,
Série d’anneaux nuptiaux

Ignorant le commérage et les avortements
Plus véritables que les femmes
Il faut si peu d’efforts pour les semer
Flirtant avec les vents sans freins,
Enracinés au plus profond de l’histoire -

Leurs longues ailes ouvertes sur d’autres mondes
En cela, ils ressemblent à Léda
O mère des feuillages et de la douceur
Qui sont ces piétas ?
Ombres de ramiers dont le chant ne sert à rien ?

Sylvia Plath, « Arbres d’hiver », trad. S. Labbe

samedi 8 novembre 2008

Emily encore : "Tell me, tell me, smiling child"


Dans le film de Téchiné, Emily (Isabelle Adjani) est à droite, Charlotte (Marie France Pisier), à gauche.


Tell me, tell me, smiling child,
What the past is like to thee?
"An autumn evening soft and mild
With a wind that sighs mournfully."


Tell me, what is the present hour?"
A green and flowery spray
Where a young bird sits gathering its power
To mount and fly away."

Tell me, tell me, what is the future, happy one?
"A sea beneath a cloudless sun;
A mighty, glorious, dazzling sea
Stretching into infinity."

Emily Brontë, Poems, 1836.

- Dis-moi, dis-moi, souriante enfant,
A quoi le passé ressemble-t-il selon toi ?
- A un soir d’automne doux et léger
Que transperce un vent lugubre.

- Dis moi, qu’est-ce, pour toi, que le présent ?
- Un sarment vert et fleuri où le jeune
Oiseau attend, testant ses forces,
Avant de se hisser dans l'azur.

- Et qu’est-ce que le futur, heureux enfant ?
- La mer sous un ciel sans nuages,
La mer, puissante, étincelante, glorieuse
Qui, au loin, rejoint l’infini.
Emily Brontë, Poèmes, 1836, trad. S. Labbe.

A propos de l'autorité


Poser son autorité est sans doute le problème premier qui se pose à tout jeune professeur. Trop? Pas assez? Si la seconde option est souvent la plus fréquente, la première fut la mienne, j'en demande pardon à tous les élèves qui ont eu à souffrir de mon autoritarisme.
Autoritarisme n'est pas autorité.
Une lecture que j'ai faite, il y a quelques années m'a beaucoup éclairé, à ce sujet. Il s'agissait d'Avoir ou être(1) d'Erich Fromm. Fromm y distinguait l'autorité rationnelle de l'autorité irrationnelle, expliquant que la première tire son fondement de l'acte éducatif lui même qui unit en une même direction le professeur et l'élève.
Le professeur tire son autorité du simple fait que l'élève cherche à apprendre. Ne dit-on pas d'une personne qualifiée qu'elle fait autorité, ou qu'elle est une autorité? La première démarche du professeur qui cherche à imposer son autorité visera donc a prouver qu'il oeuvre (et de ce fait qu'il en est capable) à "élever" l'esprit de son élève. Le conseil prioritaire que je donnai il y a quelques années à un jeune collègue qui peinait à imposer son autorité fut de préparer sérieusement ses cours.
On impose ensuite son autorité par la parole, et pour prouver sa rationalité, on n'aura pas peur de rappeler pourquoi nous avons besoin de calme, de silence ou d'attention. C'est dans se pourquoi justifié par la nature particulière de l'effort intellectuel que réside la rationalité de notre autorité. Quant à l'autorité irrationnelle que Fromm décrit aussi très bien, elle procède de l'avantage acquis, parfois même de l'abus de pouvoir et fait immanquablement de mauvais professeurs.

1. Autrefois disponible en poche chez Marabout, l'ouvrage est aujourd'hui édité chez Robert Laffont.

vendredi 10 octobre 2008

Nothumberian Sequence de Kathleen Raine

Pure I was before the world began,
I was the violence of wind and wave,
I was the bird before bird ever sang.

I was never still,
I turned upon the axis of my joy,
I was the lonely dancer on the hill,

The rain upon the mountainside,
The rising mist,
I was the sea's unrest.

I wove the web of colour
Before the rainbow,
The inrically of the flower
Before the leaf grew.

I was the buried ore,
The fossil forest,
I knew the root of things;
Before death kingdom
I passed through the grave.

Times out of mind my journey
Circles the universe
And I remain
Before the first day.

Kathleen Raine, The Year One, Hamish Hamilton, London.

Pure j'étais, avant le commencement du monde,
J'étais la violence du vent et de la vague,
J'étais l'oiseau avant que nul oiseau ne chante.

Jamais tranquille,
J'étais la spirale sur l'axe de ma joie,
J'étais la danseuse solitaire sur la colline,

La pluie qui ruisselle sur la montagne,
La brume qui s'élève,
J'étais la mer en mouvement,

J'ai tissé la toile des couleurs
Avant l'arc-en-ciel,
L'entrelacs des fleurs
Avant que s'épanouisse la feuille,

J'étais le métal enfoui,
La forêt fossilisée,
J'ai connu la racine des choses;
Avant le règne de la mort
Je suis passée par la tombe.

Dans les temps immémoriaux de mon voyage
J'ai fait le tour de l'univers
Et je demeure
Avant le premier jour.

Trad. S. Labbe

mardi 30 septembre 2008

Fascination pour le pire


Aussi subtile que la plume de l'écrivain, la couverture sur laquelle le lecteur retrouvera le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal non croqué (bravo Edward)!


Le film sorti en janvier, que j'ai raté, des élèves qui ne cessaient de me louer les mérites de cette saga. Je me suis donc décidé à lire le premier opus de la série, l'épigraphe était somme toute tentante :
Mais l'arbre de la connaissance du bien et du mal
tu ne mangeras pas,
Car le jour où tu en mangeras tu mourras.

Se pouvait-il qu'on réussît à redonner vie à ce pesant cliché?

Oui sans doute, mais il aurait fallu avoir un peu de talent, ce dont manque cruellement, Mme Meyer. Je demande tout de suite pardon à Janyce, Candice, Lori, Astrid, Claire... qui font partie des fans que j'évoquais tout-à-l'heure, mais ce roman est l'un des pires nanars qu'il m'ait été donné de lire depuis des années - j'exagère? A peine.

Commençons par l'écriture! Il y a peu, Stephen King faisait une déclaration par voie de presse interposée estimant que Mme Meyer n'était pas un écrivain. Alors que je n'avais pas encore lu l'ouvrage, je supposais une jalousie d'écrivain, le vieux King a certes vendu des millions d'exemplaires de ses bouquins mais pas aussi vite que la petite Stéphanie, n'était-il pas devenu un peu gâteux, un peu aigri? - ça fait longtemps qu'il n'a pas sorti quelque chose de marquant, le Stephen!

Le livre lu, je peux vous affirmer que Stephen, s'il devient gâteux, a eu, au moment de cette déclaration, un éclair de lucidité. Effectivement Stephenie n'est pas un écrivain, son récit linéaire, pesant, naïf, truffé de dialogues sans vie et convenus est absolument et totalement dépourvue de sens artistique.

Misses Meyer, par exemple, se croit absolument obligée d'utiliser des incises, dans ses dialogues - pour ceux qui auraient oublié une incise est une petite proposition qui signale au lecteur qui parle du style "dit-il". Elle truffe donc ses dialogues, au petit bonheur la chance, de "gronda-t-il", "marmonna-t-elle", "rigola-t-il" (particulièrement adressé, sans doute, aux adolescents qui sentent là une franche complicité) ce qui a pour effet d'alourdir un dialogue qui déjà ne brille pas par sa légèreté.

Ajoutez à cela quelques tics de langage et une prédilection pour l'adjectif "marmoréen", il semble qu'effectivement une grande part de la fascination de cette pauvre Bella pour son Edward Cullen de vampire tienne au fait qu'il soit "de marbre" - ce qui inquiéterait à raison Erich Fromm qui y verrait probablement un signe de nécrophilie mais c'est après tout le thème du roman.

J'en finirai avec l'écriture de Miss Meyer par cette affligeante incapacité dans laquelle elle se trouve d'exprimer les sentiments de son héroïne de narratrice. Edward est "beau", "beau" et encore "beau". Quand elle est au meilleur de sa forme, il devient un "Adonis"; on appréciera l'aspect recherché de la comparaison qui a au moins le mérite de nous faire penser à une statue "marmoréenne". Bella réussit malgré tout à produire 524 pages de son incoyable babil et il m'a fallu, lecteur, toute l'estime que j'ai envers mes élèves pour conduire cet effort de lecture à son terme.

Passons aux personnages, je n'insiste pas sur Bella : adolescente type, conduite un peu tôt au sens des responsabilités par le divorce de ses parents, elle se retrouve dans un bled de l'état de Washington, aux petits soins pour un père shérif mais insignifiant, ce qui lui laisse toute latitude pour s'adonner à ses amours vampiriques. Heureusement que Bella est incarnée à l'écran par l'heureuse Kristen Stewart - dont la performance dans Into the wild était des plus remarquables - j'ai pu ainsi m'imaginer le personnage sans trop de désagrément. Pour le reste, elle a néanmoins des côtés sympathiques, elle ne collectionne pas les petits copains (ce qui devient rare dans les romans pour la jeunesse) et n'est pas douée pour le sport. Le lecteur l'aura compris, son seul mérite est donc d'attirer l'attention du sombre Edward et, privilège particulier, de résister à ses assauts télépathiques.

Que penser du dit Edward? C'est un vampire et comme tous les vampires il aime le sang - ce qui est à lire, je le crains, comme une métaphore du sexe, mais chut! - Stephenie est mormone et la judicieuse épigraphe qui figure en tête de son pensum un puissant avertissement du Seigneur lui-même : "Tu manges du fruit... ! Tu meurs." On ne "rigole" pas avec ces choses là chez les Mormons!

Et Edward lui même est presque mormon, parce que, le sang de la petite Bella, il en a envie, le Edward! Mais alors il en fait des efforts pour ne pas la croquer sa Bella... Il commence par la terroriser, ensuite, il boude et puis il l'emmène au plus profond de la forêt profonde - et vous comprenez bien que si, là, au plus profond de la forêt profonde, il résiste à la tentation, alors c'est bon! La Bella ne risque plus rien.

Mais bon, passons sur les affres du vampire sanguinaire qui se met au régime sec, Edward est aussi, en tant que vampire, immortel ou presque. D'ailleurs c'est presque scientifique le vampirisme chez Stephenie, une sorte de virus qui fait de toi un PREDATEUR, le plus dangereux que la création ait jamais porté. Et qu'est-ce qu'il en fait de son éternité, le Edward? Et bien, à cent ans, il va au lycée. Vous croyez qu'il a rédoublé? Non, il se fond dans la masse, il cherche à passer inaperçu, c'est pas génial, comme idée?

Il faut dire qu'il a des parents adoptifs tout aussi géniaux Carlisle et Emée. Carlisle a beau être médecin, et avoir trois cents ans, ce qu'il adore lui, c'est faire des parties de base-ball en pleine nature avec sa tripotée de petits vampires; ce qui nous donne une scène des plus saugrenues qui soit, pour laquelle Bella elle-même - plutôt bon public par ailleurs - a du mal à s'enthousiasmer, elle fait quand même la pom-pom girl mais c'est vraiment pour se mettre dans l'ambiance...

J'en reviens à Edward, celui qui résiste à la tentation, (Adam donc, non! je ne risquerai pas un jeu de mots sur la dent d'Edward, ce serait trop facile) et qui la cherche! Bella va apprendre ravie que son adonis d'Edward est venu passer des nuits à la contempler dormir. N'importe quelle fille sensée s'offusquerait d'une telle violation de son intimité mais là, nous sommes dans une histoire d'amour, une vraie. Alors l'intimité... Un peu comme Jane Eyre avec son goujat de Rochester, Bella lui passe tout au Edward, il faut dire qu'il est beau, beau et encore beau, qu'il a cent ans mais qu'il en fait dix-sept et qu'il a les pouvoirs de Superman. Ce sont d'ailleurs à peu près les seules traces d'intertextualité que nous trouverons dans le roman. L'auteur connaît sans doute Dracula, mais le film, et en couleur!

Pour donner une idée de la haute tenure du roman je vous en cite un petit passage. Bella se rend chez Edward pour la première fois, elle rencontre donc ses parents adoptifs, dans le dialogue qui suit c'est Esmée (la maman) qui s'adresse à Bella tombée en arrêt sur un magnifique piano à queue :

- Tu joues ? demanda-t-elle.

- Pas du tout. C'est un merveilleux instrument. Il est à vous ?
- Non, rit-elle. Edward ne t'a pas dit qu'il était musicien ?
- Jamais, affirmai-je en fusillant l'intéressé des yeux. Quoique j'aurais dû m'en douter, j'imagine.
Esmée parut décontenancée.
- Edward réussit tout ce qu'il entreprend, non? expliquai-je.
Jasper ricana, et Esmée dévisagea son fils d'un air de reproche.
- J'espère que tu n'as pas fanfaronné, le morigéna-t-elle, ce n'est pas très élégant.
- Juste un peu, riposta-t-il gaiement.
Il s'esclaffa sans retenue, et sa mère s'adoucit, presque complice, fière.
- En réalité, il a été trop modeste, intervins-je.
- Eh bien, joue donc pour Bella, Edward, l'encouragea Esmée.
- Tu viens juste de dire que fanfaronner était mal élevé.
- J'aimerais t'écouter, insistai-je.
- Affaire conclue, décréta alors Esmée en le poussant en direction de l'estrade.

On admirera le sens de la psychologie, la finesse avec laquelle l'auteur met en valeur son personnage et le côté percutant du dialogue, la pertinence aussi des incises - j'ai souligné les verbes en gras pour le plaisir. La seule question qui reste à se poser et qui s'avère, elle, intéressante, c'est : Pourquoi un tel nanar a-t-il pu fasciner des millions de lecteurs (qui sont en majorité des lectrices)? On trouve sans doute derrière le romantisme de pacotille, une vision archétypale de l'homme dans le personnage d'Edward. En tout cas une chose est certaine, j'éviterai soigneusement la suite des aventures de l'infortunée Bella et j'invite tout lecteur sensé que Misses Meyer aurait indûment fasciné à se replonger dans Harry Potter qui, lui, est sorti de la plume d'un véritable écrivain.


S. Labbe

vendredi 29 août 2008

Poème d'Emily Bronte

I'm happiest when most away
I can bear my soul from its home of clay
On a windy night when the moon is bright
And the eye can wander through worlds of light

-When I am not and none beside -
Nor earth nor sea nor cloudless sky -
But only spirit wandering wide
Through infinite immensity.

E.J. Brontë, Poems, Février 1836.

Je suis au comble de le joie lorsque
Mon âme s'échappe, loin de sa demeure d'argile
Par une nuit venteuse, dans la claire lueur lunaire
L'oeil embrasse alors des mondes de lumière -

Quand je ne suis plus, dans le vide -
Au delà de la terre, du ciel sans nuage -
Qu'un esprit errant
Dans l'immensité de l'infini.

Trad. Stéphane Labbe

Un quatrain d'Emily Dickinson


Take all away from me, but leave me Ectasy
And I am richer then, than all my fellow men
Is it becoming me, to dwell, si welthealy, when at my very door
Are those possessing more, in boundless powerty?


Emily Dickinson, poème de 1885.



Que tout me soit enlevé, mais qu'on me laisse l'Extase
Et je serai alors la plus riche de mes semblables
Se peut-il que je devienne si riche, quand, à ma porte
Résident ceux qui, dans l'absolue pauvreté, possèdent plus encore?

Trad. Stéphane Labbe