Révision

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mardi 30 septembre 2008

Fascination pour le pire


Aussi subtile que la plume de l'écrivain, la couverture sur laquelle le lecteur retrouvera le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal non croqué (bravo Edward)!


Le film sorti en janvier, que j'ai raté, des élèves qui ne cessaient de me louer les mérites de cette saga. Je me suis donc décidé à lire le premier opus de la série, l'épigraphe était somme toute tentante :
Mais l'arbre de la connaissance du bien et du mal
tu ne mangeras pas,
Car le jour où tu en mangeras tu mourras.

Se pouvait-il qu'on réussît à redonner vie à ce pesant cliché?

Oui sans doute, mais il aurait fallu avoir un peu de talent, ce dont manque cruellement, Mme Meyer. Je demande tout de suite pardon à Janyce, Candice, Lori, Astrid, Claire... qui font partie des fans que j'évoquais tout-à-l'heure, mais ce roman est l'un des pires nanars qu'il m'ait été donné de lire depuis des années - j'exagère? A peine.

Commençons par l'écriture! Il y a peu, Stephen King faisait une déclaration par voie de presse interposée estimant que Mme Meyer n'était pas un écrivain. Alors que je n'avais pas encore lu l'ouvrage, je supposais une jalousie d'écrivain, le vieux King a certes vendu des millions d'exemplaires de ses bouquins mais pas aussi vite que la petite Stéphanie, n'était-il pas devenu un peu gâteux, un peu aigri? - ça fait longtemps qu'il n'a pas sorti quelque chose de marquant, le Stephen!

Le livre lu, je peux vous affirmer que Stephen, s'il devient gâteux, a eu, au moment de cette déclaration, un éclair de lucidité. Effectivement Stephenie n'est pas un écrivain, son récit linéaire, pesant, naïf, truffé de dialogues sans vie et convenus est absolument et totalement dépourvue de sens artistique.

Misses Meyer, par exemple, se croit absolument obligée d'utiliser des incises, dans ses dialogues - pour ceux qui auraient oublié une incise est une petite proposition qui signale au lecteur qui parle du style "dit-il". Elle truffe donc ses dialogues, au petit bonheur la chance, de "gronda-t-il", "marmonna-t-elle", "rigola-t-il" (particulièrement adressé, sans doute, aux adolescents qui sentent là une franche complicité) ce qui a pour effet d'alourdir un dialogue qui déjà ne brille pas par sa légèreté.

Ajoutez à cela quelques tics de langage et une prédilection pour l'adjectif "marmoréen", il semble qu'effectivement une grande part de la fascination de cette pauvre Bella pour son Edward Cullen de vampire tienne au fait qu'il soit "de marbre" - ce qui inquiéterait à raison Erich Fromm qui y verrait probablement un signe de nécrophilie mais c'est après tout le thème du roman.

J'en finirai avec l'écriture de Miss Meyer par cette affligeante incapacité dans laquelle elle se trouve d'exprimer les sentiments de son héroïne de narratrice. Edward est "beau", "beau" et encore "beau". Quand elle est au meilleur de sa forme, il devient un "Adonis"; on appréciera l'aspect recherché de la comparaison qui a au moins le mérite de nous faire penser à une statue "marmoréenne". Bella réussit malgré tout à produire 524 pages de son incoyable babil et il m'a fallu, lecteur, toute l'estime que j'ai envers mes élèves pour conduire cet effort de lecture à son terme.

Passons aux personnages, je n'insiste pas sur Bella : adolescente type, conduite un peu tôt au sens des responsabilités par le divorce de ses parents, elle se retrouve dans un bled de l'état de Washington, aux petits soins pour un père shérif mais insignifiant, ce qui lui laisse toute latitude pour s'adonner à ses amours vampiriques. Heureusement que Bella est incarnée à l'écran par l'heureuse Kristen Stewart - dont la performance dans Into the wild était des plus remarquables - j'ai pu ainsi m'imaginer le personnage sans trop de désagrément. Pour le reste, elle a néanmoins des côtés sympathiques, elle ne collectionne pas les petits copains (ce qui devient rare dans les romans pour la jeunesse) et n'est pas douée pour le sport. Le lecteur l'aura compris, son seul mérite est donc d'attirer l'attention du sombre Edward et, privilège particulier, de résister à ses assauts télépathiques.

Que penser du dit Edward? C'est un vampire et comme tous les vampires il aime le sang - ce qui est à lire, je le crains, comme une métaphore du sexe, mais chut! - Stephenie est mormone et la judicieuse épigraphe qui figure en tête de son pensum un puissant avertissement du Seigneur lui-même : "Tu manges du fruit... ! Tu meurs." On ne "rigole" pas avec ces choses là chez les Mormons!

Et Edward lui même est presque mormon, parce que, le sang de la petite Bella, il en a envie, le Edward! Mais alors il en fait des efforts pour ne pas la croquer sa Bella... Il commence par la terroriser, ensuite, il boude et puis il l'emmène au plus profond de la forêt profonde - et vous comprenez bien que si, là, au plus profond de la forêt profonde, il résiste à la tentation, alors c'est bon! La Bella ne risque plus rien.

Mais bon, passons sur les affres du vampire sanguinaire qui se met au régime sec, Edward est aussi, en tant que vampire, immortel ou presque. D'ailleurs c'est presque scientifique le vampirisme chez Stephenie, une sorte de virus qui fait de toi un PREDATEUR, le plus dangereux que la création ait jamais porté. Et qu'est-ce qu'il en fait de son éternité, le Edward? Et bien, à cent ans, il va au lycée. Vous croyez qu'il a rédoublé? Non, il se fond dans la masse, il cherche à passer inaperçu, c'est pas génial, comme idée?

Il faut dire qu'il a des parents adoptifs tout aussi géniaux Carlisle et Emée. Carlisle a beau être médecin, et avoir trois cents ans, ce qu'il adore lui, c'est faire des parties de base-ball en pleine nature avec sa tripotée de petits vampires; ce qui nous donne une scène des plus saugrenues qui soit, pour laquelle Bella elle-même - plutôt bon public par ailleurs - a du mal à s'enthousiasmer, elle fait quand même la pom-pom girl mais c'est vraiment pour se mettre dans l'ambiance...

J'en reviens à Edward, celui qui résiste à la tentation, (Adam donc, non! je ne risquerai pas un jeu de mots sur la dent d'Edward, ce serait trop facile) et qui la cherche! Bella va apprendre ravie que son adonis d'Edward est venu passer des nuits à la contempler dormir. N'importe quelle fille sensée s'offusquerait d'une telle violation de son intimité mais là, nous sommes dans une histoire d'amour, une vraie. Alors l'intimité... Un peu comme Jane Eyre avec son goujat de Rochester, Bella lui passe tout au Edward, il faut dire qu'il est beau, beau et encore beau, qu'il a cent ans mais qu'il en fait dix-sept et qu'il a les pouvoirs de Superman. Ce sont d'ailleurs à peu près les seules traces d'intertextualité que nous trouverons dans le roman. L'auteur connaît sans doute Dracula, mais le film, et en couleur!

Pour donner une idée de la haute tenure du roman je vous en cite un petit passage. Bella se rend chez Edward pour la première fois, elle rencontre donc ses parents adoptifs, dans le dialogue qui suit c'est Esmée (la maman) qui s'adresse à Bella tombée en arrêt sur un magnifique piano à queue :

- Tu joues ? demanda-t-elle.

- Pas du tout. C'est un merveilleux instrument. Il est à vous ?
- Non, rit-elle. Edward ne t'a pas dit qu'il était musicien ?
- Jamais, affirmai-je en fusillant l'intéressé des yeux. Quoique j'aurais dû m'en douter, j'imagine.
Esmée parut décontenancée.
- Edward réussit tout ce qu'il entreprend, non? expliquai-je.
Jasper ricana, et Esmée dévisagea son fils d'un air de reproche.
- J'espère que tu n'as pas fanfaronné, le morigéna-t-elle, ce n'est pas très élégant.
- Juste un peu, riposta-t-il gaiement.
Il s'esclaffa sans retenue, et sa mère s'adoucit, presque complice, fière.
- En réalité, il a été trop modeste, intervins-je.
- Eh bien, joue donc pour Bella, Edward, l'encouragea Esmée.
- Tu viens juste de dire que fanfaronner était mal élevé.
- J'aimerais t'écouter, insistai-je.
- Affaire conclue, décréta alors Esmée en le poussant en direction de l'estrade.

On admirera le sens de la psychologie, la finesse avec laquelle l'auteur met en valeur son personnage et le côté percutant du dialogue, la pertinence aussi des incises - j'ai souligné les verbes en gras pour le plaisir. La seule question qui reste à se poser et qui s'avère, elle, intéressante, c'est : Pourquoi un tel nanar a-t-il pu fasciner des millions de lecteurs (qui sont en majorité des lectrices)? On trouve sans doute derrière le romantisme de pacotille, une vision archétypale de l'homme dans le personnage d'Edward. En tout cas une chose est certaine, j'éviterai soigneusement la suite des aventures de l'infortunée Bella et j'invite tout lecteur sensé que Misses Meyer aurait indûment fasciné à se replonger dans Harry Potter qui, lui, est sorti de la plume d'un véritable écrivain.


S. Labbe