Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mercredi 12 novembre 2008

Quand Emily Dickinson philosophe :


Perception of an object costs
Precise the Object's loss -
Perception in itself a Gain
Replying to its Price -

The Object Absolute - is nought -
Perception sets it fair
And then upbraids a Perfectness
That situates so far -

Emily Dickinson, Poem 1071, 1866, Poems.

La perception d’un objet coûte
Précisément la perte de l’objet -
La perception, en elle-même, est un gain
Qui répond à son prix -

L’objet absolu - n’existe pas -
La perception le rend beau
Et, reproche ensuite cette perfection
Par trop éloignée.


Emily Dickinson, Poème 1071, trad. Stéphane Labbe.

mardi 11 novembre 2008

Arbres d'hiver de Sylvia Plath



Sylvia Plath s’est suicidée en 1963, elle avait trente-et-un an, elle laissait derrière elle une oeuvre poétique énigmatique et belle, un roman et deux enfants. Au delà de la victime légendaire, d’une société de consommation absurde, il convient de découvrir la virtuosité d’un poète habité, qui génère des images denses et fortes.

Winter Trees

The wet dawn inks are doing their blue dissolve.
On their blotter of fog the trees
Seem a botanical drawing -
Memories growing, ring on ring,
A series of weddings.

Knowing neither abortions nor bitchery,
Truer than women,
They seed so effortlessly!
Tasting the winds, that are footless,
Waist-deep in history.

Full of wings, otherworldliness.
In this, they are Ledas.
O mother of leaves and sweetness
Who are these pietas?
The shadows of ringdoves chanting, but chasing nothing.

Sylvia Plath, “Winter trees”, Winter trees, 1972.

L’encre bleue d’une aube humide se dilue
Sur le buvard brumeux les arbres
Ressemblent à des esquisses d’herbier -
Mémoires qui, cercle après cercle, s’accroît,
Série d’anneaux nuptiaux

Ignorant le commérage et les avortements
Plus véritables que les femmes
Il faut si peu d’efforts pour les semer
Flirtant avec les vents sans freins,
Enracinés au plus profond de l’histoire -

Leurs longues ailes ouvertes sur d’autres mondes
En cela, ils ressemblent à Léda
O mère des feuillages et de la douceur
Qui sont ces piétas ?
Ombres de ramiers dont le chant ne sert à rien ?

Sylvia Plath, « Arbres d’hiver », trad. S. Labbe

samedi 8 novembre 2008

Emily encore : "Tell me, tell me, smiling child"


Dans le film de Téchiné, Emily (Isabelle Adjani) est à droite, Charlotte (Marie France Pisier), à gauche.


Tell me, tell me, smiling child,
What the past is like to thee?
"An autumn evening soft and mild
With a wind that sighs mournfully."


Tell me, what is the present hour?"
A green and flowery spray
Where a young bird sits gathering its power
To mount and fly away."

Tell me, tell me, what is the future, happy one?
"A sea beneath a cloudless sun;
A mighty, glorious, dazzling sea
Stretching into infinity."

Emily Brontë, Poems, 1836.

- Dis-moi, dis-moi, souriante enfant,
A quoi le passé ressemble-t-il selon toi ?
- A un soir d’automne doux et léger
Que transperce un vent lugubre.

- Dis moi, qu’est-ce, pour toi, que le présent ?
- Un sarment vert et fleuri où le jeune
Oiseau attend, testant ses forces,
Avant de se hisser dans l'azur.

- Et qu’est-ce que le futur, heureux enfant ?
- La mer sous un ciel sans nuages,
La mer, puissante, étincelante, glorieuse
Qui, au loin, rejoint l’infini.
Emily Brontë, Poèmes, 1836, trad. S. Labbe.

A propos de l'autorité


Poser son autorité est sans doute le problème premier qui se pose à tout jeune professeur. Trop? Pas assez? Si la seconde option est souvent la plus fréquente, la première fut la mienne, j'en demande pardon à tous les élèves qui ont eu à souffrir de mon autoritarisme.
Autoritarisme n'est pas autorité.
Une lecture que j'ai faite, il y a quelques années m'a beaucoup éclairé, à ce sujet. Il s'agissait d'Avoir ou être(1) d'Erich Fromm. Fromm y distinguait l'autorité rationnelle de l'autorité irrationnelle, expliquant que la première tire son fondement de l'acte éducatif lui même qui unit en une même direction le professeur et l'élève.
Le professeur tire son autorité du simple fait que l'élève cherche à apprendre. Ne dit-on pas d'une personne qualifiée qu'elle fait autorité, ou qu'elle est une autorité? La première démarche du professeur qui cherche à imposer son autorité visera donc a prouver qu'il oeuvre (et de ce fait qu'il en est capable) à "élever" l'esprit de son élève. Le conseil prioritaire que je donnai il y a quelques années à un jeune collègue qui peinait à imposer son autorité fut de préparer sérieusement ses cours.
On impose ensuite son autorité par la parole, et pour prouver sa rationalité, on n'aura pas peur de rappeler pourquoi nous avons besoin de calme, de silence ou d'attention. C'est dans se pourquoi justifié par la nature particulière de l'effort intellectuel que réside la rationalité de notre autorité. Quant à l'autorité irrationnelle que Fromm décrit aussi très bien, elle procède de l'avantage acquis, parfois même de l'abus de pouvoir et fait immanquablement de mauvais professeurs.

1. Autrefois disponible en poche chez Marabout, l'ouvrage est aujourd'hui édité chez Robert Laffont.