Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mercredi 25 mars 2009

Une Annonciation de Fra Angelico


Fra Angelico a plusieurs fois peint des scènes d'annonciation; mais celle-ci est particulière . L'Ange ne vient pas annoncer la vie mais la mort. Dans les versions classique le jardin sur la gauche est le jardin d'Eden. Le frère (Fra) signifie par là le lien de causalité entre ancien et nouveau testaments qui hante toute la théologie chrétienne du Moyen-Âge et de la Renaissance. La naissance du Christ est réparation. La conception sans tâche du Christ efface la dégustation du fruit maudit par Eve et Adam.
Rien de tel dans ce tableau, le jardin - s'il s'agit d'un jardin - est déporté au delà de la palissade et on ne saurait dire s'il s'agit du jardin d'Eden. La perspective s'est inversée et nous fait voir l'Annonciation de l'intérieur. Ce tableau semble signaler le basculement qu'évoque Erwin Panofsky(1) : nous sommes passés du point de vue théocentriste (point de vue de Dieu) au point de vue humain.
Nous ne voyons plus l'histoire de l'humanité mais une histoire, celle de Marie engagée dans un entretien où chacun des protagonistes semble faire preuve d'un immense respect pour l'autre. L'ange s'est humanisé, il est vêtu de rose (le rouge de l'incarnation et le blanc de la pureté céleste).
L'intérieur de la Maison constitue le cadre essentiel, vide, serein - c'est une image de l'âme - à la fois ouvert et fermé. La pièce du fond qui autorise le retrait possède aussi une ouverture sur le monde. Il y a dans tout cela une profonde unité. L'acceptation d'un destin à la fois glorieux et tragique naît de cette unité intérieure et la jeune femme arbore une expression à la fois douloureuse et sereine, étrange paradoxe que le peintre rend on ne sait comment. Marie, une nouvelle fois, accepte son destin, un au-delà figuré par l'autre côté de la palissade mais aussi par l'ouverture au fond de la perspective.


(1) La perspective comme forme symbolique et autres essais, Minuit, 1976.

mardi 24 mars 2009

Quelques aphorismes d'Oscar Wilde

Les femmes sont faites pour être aimées pas pour être comprises.
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Recommander aux pauvres d'être économes est à la fois grotesque et insultant. cela revient à demander à un homme qui meurt de faim de manger moins.
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Les amateurs de musique sont totalement déraisonnables. Ils nous demandent d'être parfaitement muets au moment ou nous aimerions être absolument sourds.
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J'adore les scandales qui concernent les autres, mais les scandales qui me concernent ne m'intéressent pas. Ils n'ont pas le charme de la nouveauté.
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Dans un temple tout le monde devrait être sérieux à l'exception de l'objet du culte.
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On peut résister à tout sauf à la tentation.

Oscar Wilde, Aphorismes, trad. de Bernard Hoepffner, Mille et une nuit, 1995.

lundi 23 mars 2009

Locked gates de Kathleen Raine


The locked gates

Everywhere the substance of earth is the gate that we cannot pass.
Seek in Hebridean isles lost paradise,
There is yet the heaviness of water, the heaviness of Stone
And the heaviness of the body I bring to this inviolate place.
Foot sinks in bog as I gather white water-lilies in the tarn,
The knee is bruised on rock, and the wind is always blowing.
The locked gates of the world are the world's elements,
For the rocks of the beautiful bills hurt, and the silver seas drown,
Wind scores deep record of time on the weathered boulders,
The bird's hot heart consumes the soaring life to feather and bone,
And heather and asphodel crumble to peat that smoulders on crofters fires.

Kathleen Raine, Collected Poems, Counterpoint, 2001.


Les Portes closes

La substance de la terre est partout le portail que nous ne pouvons franchir.
Aux Îles Hébrides, je cherche le paradis perdu,
Il y a la pesanteur de l'eau, la pesanteur de la pierre
Et la pesanteur du corps que je conduis en ce lieu inviolé.
Le pied s'enfonce dans la vase comme je récolte des nénuphars sur le lac,
Le genou est meurtri par la roche, le vent souffle toujours.
Les portes closes du monde, ce sont les éléments de ce monde,
Car les rochers des collines superbes meurtrissent, et les mers d'argent noient,
Le vent, à toute vitesse, écorche les galets burinés,
Le cœur fiévreux de l'oiseau consume sa vie aérienne, jusqu'à la plume et l'os,
Et la bruyère et l'asphodèle se désagrègent, tourbe qui se consumera aux feux des pauvres.

Trad. Stéphane Labbe

dimanche 15 mars 2009

A mon seul désir

De retour de Paris, il me restera curieusement de ce séjour la vision de cette fameuse Dame à la licorne. Contemplation, recherche, le mystère reste intact. Qu'est-ce qui s'y dit, s'y dévoile et s'y dérobe?
Oeuvre mystérieuse, messagère d'un autre temps et dont on pressent que le message qu'elle veut délivrer relève de l'intemporel.
Observons le décor, une sorte d'île verdoyante, deux groupes d'arbres symétriques en nombres et en tailles mais dont les essences diffèrent. Deux fois quatre... La quaternité, quatre! le chiffre relève de la perfection, du moins en ce monde.
Une tente vide, au fronton : l'inscription "à mon seul désir". La tente est bleue couverte de flammèches qui me font penser aux représentations traditionnelles de l'Esprit saint, un héraldiste me donnerait sans doute une définition prosaïque de ce signe mais je ne veux pas l'entendre. Le vide et l'Esprit se conjuguent pour former "mon seul désir".
L'Unique.
Que fait-elle la Dame? Elle prend ou se dessaisit? Je veux y voir quelque chose qui tienne au renoncement, à la paix retrouvée de l'esprit qui, ayant compris le prix des désirs insatisfaits, se tourne vers un vide salvateur.
Conséquence : la vie s'équilibre; lion et licorne se mettent au garde-à-vous, sexe et pureté, vaillance et instinct de survie, force et harmonie, destruction et beauté.
Le quatrième arbre s'épanouit, tisse ce lien entre ciel et terre, passé, présent et avenir. Les animaux dont la présence est acceptée dans le jardin insulaire trouvent un écho dans le ciel.
Et la dame, de rouge vêtue, habite en sa tente bleue.

Lien vers le site du musée de Cluny, musée national du Moyen-Âge :

samedi 7 mars 2009

Actualité d'Oscar Wilde

Après Florian et les Brontê me voici sur les traces d'Oscar Wilde! L'Ecole des loisirs s'apprête à mettre sur le marché une nouvelle traduction du Portrait de Dorian Gray, livre culte s'il en est! Boris Moissard est l'auteur de cette traduction qui devrait permettre aux adolescents d'entrer dans l'univers complexe et raffiné de l'ami Dorian. Sans affadir l'oeuvre, il parvient à restituer la complexité de l'intrigue et la virtuosité stylistique de l'auteur tout en allégeant le roman des nombreuses considérations sur l'art qui viennent souligner la dimension allégorique de l'histoire.
Au-delà de l'anecdote fantastique, - mais est-ce vraiment du fantastique ? on rappellera qu'à juste titre, Tororov voit en l'allégorie une limite à la crédibilité du surnaturel - le roman pose de nombreux problèmes qui certainement intéresseront la jeunesse. En premier lieu, le problème du mal que Wilde expose dans une perspective quasi existentialiste - "je me construis par mes actes". Il me semble que cette question du mal revient en force hanter la littérature de jeunesse : il y a eu Harry Potter que ses rapports intimes avec cette figure personnifiée du mal qu'est Voldemort ont inquiété tout au long des sept tomes de la sage; il y a la jeune Bella de Stephenie Meyer qui, par le biais du vampirisme explore sa propre part d'ombre. Le Dorian Gray de Wilde se présente aussi à l'évidence comme l'un de ces expérimentateurs de l'ombre mais à l'inverse d'Harry Potter qui sort victorieux de l'expérience Dorian Gray succombe à l'attrait maléfique du portrait - du narcissisme donc.
La question de la création artistique est aussi au coeur du roman : Wilde y a transposé ses propres interrogations sur le rapport entre élan créateur et sexualité. S'il anticipe ainsi la réflexion freudienne, il me semble aussi pressentir les recherches de Jung : la mort de Sybil Vane (figure de l'anima) est aussi le début d'une descente aux enfers qui n'autorisera aucune rédemption. Coupé de son âme Dorian Gray n'est plus qu'un automate social livré aux aléas d'une vie sans véritable saveur.
On trouvera par ailleurs dans le roman de Gyles Brandreth, Oscar Wilde et le jeu de la mort, publié en 10/18 un saisissant portrait de notre auteur. Outre une intrigue parfaitement menée, Brandreth recrée avec jubilation la figure d'Oscar Wilde avec lequel on sent qu'il entretient un rapport passionné. Mettre en scène un personnage aussi truculent était un véritable défi, Brandreth s'en tire avec les honneurs. Son héros pétille d'intelligence, distille les aphorismes avec un sens de la répartie jamais mis en défaut, c'est un Wilde humain, parfois sentencieux mais toujours drôle dans l'ironie que ressuscite notre auteur. On appréciera de croiser le rude Conan Doyle qui fut l'ami sincère de Wilde et je ne sais si l'on doit accorder crédit à l'anecdote qui ferait de l'auteur du portrait de Dorian Gray l'inspirateur de Mycroft Holme. J'avais choisi ce roman afin de trouver la motivation pour lire l'une des nombreuses biographies de Wilde, prélude nécessaire à un travail sur le roman. C'est gagné, j'ai effectivement envie d'en savoir plus sur Wilde mais je me laisserais volontiers aller à lire le second opus des aventures imaginées par Brandreth.

Un article intéressant du Magazine littéraire sur Brandreth :


http://www.magazine-litteraire.com/content/recherche/article?id=12870