Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

lundi 25 mai 2009

Except the Heaven had come so near...


Except the Heaven had come so near -
So seemed to choose My Door -
The Distance would not haunt me so -
I had not hoped - before -

But just to hear the Grace depart -
I never thought to see -
Afflicts me with a Double loss -
'Tis lost - and lost to me -

Emily Dickinson, Une âme en incandescence, Cahier 33, 472, José Corti.

Si le Ciel ne s'était approché d'aussi près -
S'il n'avait semblé choisir Ma porte -
La distance ne me hanterait pas ainsi -
Je n'avais aucun espoir - avant -

Mais entendre seulement la Grâce qui s'en va -
Je ne pensais jamais la voir -
C'est subir une double perte -
Elle est perdue - Et perdue pour moi


Trad. S. Labbe


Illustration : L'Espoir de Klimt.

samedi 23 mai 2009

Un roman de formation emblématique, Jane Eyre de Charlotte Brontë

Séquence pédagogique publiée dans le n° 5-6 de la revue L'école des lettres en mai 2009, 63 p. disponible au format pdf sur le site de L'école des lettres.

Séance 1, objectif : situer le roman de Charlotte Brontë au regard d’une tradition romanesque et aborder succinctement la biographie de l’auteur.
Démarche : répondre individuellement ou par groupe de deux à un questionnaire en utilisant les ressources du C.D.I. puis élaborer une synthèse en mutualisant les réponses.
Test de lecture : Q.C.M. sur les deux premières parties du roman (chap. I à X)
Séance 2, objectif : comprendre les dimensions informative et symbolique d’une ouverture de roman. Lecture analytique du premier chapitre.
Séance 3, objectif : dégager les significations de l’espace dans les deux premières parties du roman. Élaboration par petits groupes de réponses à des questions ciblées puis rédaction d’une synthèse individuelle.
Séance 4, objectif : comprendre les fonctions d’une description à visée symbolique. Lecture analytique de la description
Séance 5, objectif : insérer des notations descriptives dans une courtes scène romanesque. Atelier d’écriture, analyse du travail de brouillon.
Séance 6, objectif : reconnaître et utiliser les expansions du nom. Identification des expansions à partir des travaux d’expression, manipulation à l’aide d’exercices.
Q.C.M. sur la deuxième partie du roman (chap. X à XXVII compris)
Séance 7, objectif : dégager connotations et allusions symboliques dans une scène romanesque d’une grande simplicité apparente.                                            Lecture analytique guidée.
Séance 8, objectif : comparer l’extrait de Jane Eyre à trois autres scènes de rencontre pour en mesurer l’originalité. Élaboration d’un tableau comparatif et rédaction d’une synthèse.
Séance 9, objectif : mesurer l’influence du roman gothique sur l’écriture du roman de Charlotte Brontë. Utiliser les recherches effectuées au cour de la première séance, et organiser un mini débat sur le personnage de Rochester.
Vérification de la lecture des chapitres XXVIII à XXXVIII (Résumé à trous)
Séance 10, objectif : comprendre comment un auteur réinvestit certains éléments de son expérience dans son œuvre de manière fantasmée. Revoir les caractéristiques de l’écriture autobiographique. Exploration collective du rapport de la biographie à l’œuvre en prenant appui sur la chronologie du livre et sur une série de documents. Identification d’un procédé d’écriture : l’intrusion du narrateur.
Séance 11, objectif : démontrer que l’œuvre est un roman de formation. Souligner la proximité du roman avec certains contes, constater la présence d’un thème central : la révolte et comprendre que les personnages féminins sont des modèles ou des repoussoirs pour Jane.

Evaluation : sujet d’épreuve de type brevet ayant pour objectif de réinvestir la plupart des notions abordées dans la séquence.

Les Fables de Florian à l'école des loisirs

Edition des Fables de Florian, l'école des loisirs, 15 mai 2009 

Contenu de l'édition
- Le "De la fable" de Florian , un essai qui servait d'introduction au recueil. 
- Les cinq livres dans chacun desquels nous avons prélevé un dizaine de fables, en prenant soin de garder la première et la dernière qui ont un effet structurant.
- Une chronologie de Florian
- Une dossier avec "Circonstances de composition", "Genèse et réception" du recueil, "l'art de la fable" chez Florian, une bibliographie et un index des noms propres.
- Les illustrations de Grandville.

Extrait du dossier 

Y avait-il moment moins judicieux pour publier des fables que ces derniers jours du mois de décembre 1792 ? Le procès du roi Louis XVI fait l’objet de toutes les conversations, occupe la une de toutes les gazettes, le public cultivé (nobles et grands bourgeois) a fui Paris. Rien ne laisse à penser qu’un recueil de fables ait quelque chance d’attirer l’attention.
Mais Florian est pressé, il a soif de reconnaissance : malgré son élection à l’Académie française en 1788, malgré le succès de ses comédies ou de ses pastorales, il n’a jamais obtenu l’approbation des critiques dans l’un de ces genres prestigieux, qu’à la suite des classiques du XVIIe, on considère désormais comme « nobles » (épopée, tragédie ou poésie didactique). Son roman épique, Numa Pompilius, a été un échec et la reine, à laquelle il avait pourtant dédicacé l’ouvrage, ne ménage pas son auteur : « Quand je lis Numa, aurait-elle confié, il me semble que je mange de la soupe au lait ».
En février 1792, sa décision est prise, il publiera ses fables avant la fin de l’année. «  Je m’occupe à présent, écrit-il à son oncle, de finir mon Recueil de fables. J’en veux cent, et je n’en ai que cent dix. Je vais en faire encore pour réformer ensuite toutes celles qui n’auront pas la taille. […] J’espère pourtant que l’année prochaine (s’il y a une année prochaine), mon régiment d’animaux passera la revue des inspecteurs et j’en suis assez content pour espérer beaucoup des critiques »… »1 La lettre indique clairement que Florian est en attente d’une reconnaissance critique. Sans doute aimerait-il échapper à cette image d’aimable auteur dont le nom n’est associé qu’aux afféteries de la comédie sentimentale ou aux mièvres idylles de la pastorale.


1 Lettres de Florian à son oncle, citée par J.L. Gourdin dans sa biographie de Florian (voir bibliographie).

Exploitation du recueil dans l'école des lettres 

Stéphane Labbe, "Les Fables de Florian ou l'art de conter gaiement", 56 p. : séquence didactique destinée aux classes de 4e, l'école des lettres, n° 2, 2009-2010.
Stéphane Labbe, "Analyse d'une illustration de J.-J. Grandville", "La carpe et les Carpillons", l'école des lettres, n° 2, 2009-2010.
Dominique Jolivet, Découverte d'un genre en 6e, la fable, , l'école des lettres, n° 2, 2009-2010.
Stéphane Labbe, Liaison 3e/seconde, "Le Grillon" de Florian, commentaire,  l'école des lettres, n° 5, 2012-2013.



jeudi 14 mai 2009

"Le Verrou" de Fragonard


Si la biographie de Fragonard est mal connue, ses tableaux, eux, sont connus de tous. Le Verrou vient fréquemment, dans les manuels, sur les couvertures du roman, illustrer les Liaisons dangereuses de Laclos, et sans doute : la célèbre scène qui évoque le viol de Cécile par Valmont. Les critiques se sont beaucoup interrogés sur l'interprétation qu'il convient de donner à la scène. Les amants viennent-ils de faire l'amour ? Non, ils vont s'y livrer! On a vraiment envie de dire : Qu'importe ! C'est ce que le tableau donne à voir qui importe. Que voyons-nous donc ?
Un jeune homme dans une position bien peu confortable, une dame qui semble tomber en pâmoison, un jeu de lumière étrange, aussi étrange peu-être que la position du verrou. Un lit défait, les commentateurs y voient toutes sortes de représentations fantasmées, probablement justes : le pied du lit semble un genou replié, les oreillers ont formes de seins, le drapé, au-dessus du lit figure une sexe féminin, etc. Tout cela est possible, voire probable.
Il est par ailleurs indiscutable qu'il y a une pomme dans la lumière, un vase renversé, dans l'ombre. Pomme qu'on a beau jeu de rattacher au fruit d'Adam et Êve. L'attitude de la jeune femme n'est guère plus enviable que celle de l'homme, figée pour l'éternité dans une cambrure douloureuse qui la fait repousser du pied le lit, écarter le buste de l'homme, ce qui donne nettement l'impression qu'elle n'est pas consentante - serait-elle évanouie ? Et nous revenons à Cécile.
Il s'agirait du prélude à un viol ? peut-être ! ce qui pourrait expliquer la pomme dans la lumière (le désir de l'homme) le vase dans l'ombre, cachée (symbole du désir féminin quant à lui éteint).
Et il y a tous ces drapés, Sollers nous rappelle que Fragonard était fils d'un marchand drapier que les étoffes n'ont pas de secrets pour lui. Tout semble effectivement drapé dans ce tableau, le lit, les meubles, les corps : symbolique de la richesse ou symbolique du linceul ? Ne sont-ce pas les draps qui donnent à voir, si l'on en croit les critiques, ce qui va ce passer ? Mais le viol, si viol il y a, est une mort ce à quoi renvoient les fleurs hors du vase.
Ne pas oublier que ce tableau est un pendant à une scène beaucoup plus traditionnelle, l'Adoration des bergers. Où tout s'inverse : extrême dévotion des hommes qui n'osent pas regarder la Vierge, arrière plan céleste, là où le réalisme commanderait un plan fermé. La lumière provient de l'intérieur, de l'enfant évidemment. A l'arrière-plan un Dieu curieusement humanisé, six angelots dans le ciel, Jésus constituant à l'évidence le septième, incarnation du spirituel. Il y a aussi un vide en ce tableau, halo lumineux, entre la vierge et le boeuf de même qu'il y a un vide dans le Verrou, le coeur du drapé au-dessus du lit sensé représenté le sexe féminin.
Deux vides antithétiques : ombre et lumière, destitution de la femme objet du désir, adoration de la femme d'où naît la lumière; fermeture de l'espace, ouverture à l'infini ; lumière sombre du désir, lumière diffuse de la sérénité.
Une question pour qui regarde ces deux oeuvres : vers où ?
Une réponse, pour ne pas rester sur un jeu de mots lacanien : le vide.



mardi 5 mai 2009

"Crime et expiation" de J.-J. Grandville

Crime et expiation est l’un des deux derniers dessins exécutés par Grandville avant sa mort. L’espèce de prescience qu’il en avait intrigue généralement beaucoup ses biographes, bien sûr le sort s’était acharné sur lui, la mort de ses enfants l’affecte particulièrement – le petit Georges, dernier né de son premier mariage décède en janvier 1847. Il n’empêche que ce décès demeure des plus mystérieux, Grandville disparaissant malgré tout en pleine santé. Crime et expiation paraîtra de façon posthume dans la revue, Le Magasin pittoresque, à laquelle il était destiné, en juillet 1847.
Laure Garcin(1) y voit « un testament et la récapitulation de ses échecs. », cette interprétation est évidemment plausible. La gravure illustre particulièrement bien l’idée souvent ressassée selon laquelle Grandville serait un précurseur de la bande dessinée. Le mouvement d’ensemble, sinusoïdal semble effectivement nous conter une histoire, Freud y aurait probablement décelé le contenu manifeste d’un rêve. Du combat mené entre les deux personnages, en haut à gauche au personnage qui, en bas à droite se précipite vers une croix blanche, nous pouvons affirmer, sans trop nous fourvoyer qu’il s’agit d’un itinéraire symbolique qui, probablement retrace la vie du dessinateur.
La scène initiale, le combat renvoie de façon assez probable à la « scène primitive freudienne ». On pourrait objecter qu’il est paradoxal de représenter la femme (mère de l’auteur) sous la forme d’un arbre, ce serait ignorer le symbolisme jungien qui fait de l’arbre un symbole essentiellement féminin (protecteur, agent de la transmission…), que l’on songe par exemple à Grand-mère feuillage dans le Pocahontas des studios Disney. Notre hypothèse se trouve corroborée par la croix noire située à proximité ou par la fontaine surmontée d’une urne funéraire. Nous savons que Grandville, dans l’esprit de ses parents, remplaça un frère aîné, décédé peu de temps avant sa naissance et qu’il fut même appelé, dans les premiers mois de sa vie, du prénom de ce frère aîné. Ce drame familial pourrait expliquer les larmes abondantes qui coulent de l’arbre.
Laure Garcin montre très bien dans son ouvrage que l’image est à lire comme une trajectoire qui conduirait le personnage du rêveur représenté par différents symboles (la fontaine, la récurrence d’un personnage traqué) d’une situation de quasi impuissance à la promesse d’une libération. Les eaux de la Fontaine initiale se dirigent vers la terre, la croix au départ est blanche. Alors que, dans la situation finale, les eaux de la fontaine semblent jaillir et rejoindre l’horizon et, de noire, la croix est devenue blanche.
Je ne suis pas sûr qu’on puisse donner de ce parcours une vision si optimiste, il me semble au contraire qu’impuissant à régler les nombreux conflits internes qui l’assaillaient, l’artiste ait fait le choix délibéré de la mort. De même, lorsque Laure Garcin dénie toute symbolique religieuse à cette œuvre – elle juge Grandville trop éclairé pour avoir recours au symbole religieux – elle se trompe ignorant la dynamique jungienne de l'inconscient - Jung a parfaitement démontré que la symbolique religieuse ne concerne seulement les personnalités dont l'existence consciemment est influencée par la religion.
Nous ne savons que peu de choses des rapports que Grandville entretint avec ses parents, avec sa mère en particulier. Laure Garcin, s’appuyant sur un dessin réalisé par Grandville, alors qu’il avait quinze ans, en induit assez justement qu’il devait percevoir sa mère comme un personnage autoritaire et dépourvue de fantaisie, sans doute totalement insensible à ses dons artistiques. On peut de fait interpréter la présence de l’œil, à la fois fermé et ouvert dans une balance puis résolument ouvert comme l’œil d’une mère castratrice à laquelle tente d’échapper le rêveur. La colonne brisée en bas à gauche, confirme cette hypothèse. Une lecture religieuse peut aussi nous renvoyer (de façon anticipée) à la Légende des siècles :
« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ». Il n’y aurait rien d’extraordinaire, étant donné les circonstances de sa naissance, à ce que Grandville se soit ressenti comme un nouveau Caïn. Son cas n’est pas sans faire penser à celui de James Barrie, l’auteur de Peter Pan, qui éprouva si douloureusement la douleur maternelle quand elle perdit son fils (frère aîné aîné de Barrie) qu’il en prit la décision de ne pas grandir. Il est à noter que sa trajectoire est tout aussi parsemée de décès que celle de Grandville.
Les mains qui sortent de terre, en haut pourraient donc signifier le désir de faire revivre Abel et l’itinéraire de notre artiste rencontrerait un mythe de l’inconscient collectif. La chute dans l’eau, la rencontre du monstre, figuration d’une mère chtonienne relèvent aussi des symboles mythologiques. A cette rencontre, l’artiste ne semble devoir son salut qu’à la croix blanche, symbole christique, symbole aussi de la mort et ce d’autant mieux que la fontaine, située au fond semble constituer une sorte d’écho atténué à la croix dans un autre monde. Et c’est ici Baudelaire qu’il nous faudrait citer, comme si à l’intensité des conflits intérieurs qui le rongeaient, Grandville n’avait su trouver d’autre issue :
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l'ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte!

Nous voulons, tant ce feu qui nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe?
Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !

(1) Laure Garcin, J.J. Grandville, révolutionnaire et précurseur du mouvement, Eric Losfeld, 1970.

lundi 4 mai 2009

La Sauterelle et le Grillon

Keats, mort à vingt-six ans de la tuberculose, appartient à cette génération romantique dont les plus grands talents disparaissent au faîte de la gloire, Shelley, Byron... La destinée de Keats fut plus obscure que celle de ses aînés, très tôt orphelin, il évolue dans cette Angleterre redoutable que décrivent les romans de Dickens. Au pensionnat, il se passionne pour Shakespeare, apprend le latin en autodidacte. Les mythes grecs nourriront sa poésie (Endymion, Hyperion), on lui doit aussi de très belles oeuvres lyriques dont la fameuse Ode au Rossinol. La "Sauterelle et le Grillon" est un sonnet qui développe le thème de l'Ode au rossignol, la permanence de la poésie dans une monde en perpétuel mouvement.

On the Grasshopper and the Cricket

The poetry of earth is never dead :
When all the birds are faint with the hot sun,
And hide in cooling trees, a voice will run
From hedge to hedge about the new-mown mead ;
That is the Grasshopper’s - he takes the lead
In summer luxury,- he has never done
With his delights; for when tired out with fun
He rests at ease beneath some pleasant weed.
The poetry of earth is ceasing never:
On a lone winter evening, when the frost
Has wrought a silence, from the stove there shrills
The Cricket’s song, in warmth ever,
And seems to one in drowsiness half lost,
The Grasshopper’s among some grassy hills.
30 décembre 1816.


De la sauterelle et du grillon

La poésie de la terre, ne meurt jamais :
Quand tous les oiseaux accablés par un soleil torride
Se dissimulent à l’ombre des feuillages, une voix s’élève
Et parcourt les haies, les prés nouvellement moissonnés;
C’est le chant de la sauterelle qui donne le la
Dans la splendeur de l’été – jamais il n’y eut
Tels délices et lorsqu'elle est fatiguée de s’amuser,
Elle se repose sous quelque roseau accueillant.
La poésie de la terre ne cesse jamais :
Par une soirée d’hiver solitaire, quand le gel
A tout réduit au silence, la voix du grillon
Stridente, résonne et s’amplifie de la chaleur du foyer,
Elle semble pour qui, somnolant doucement, s’adonne à la rêverie
Le chant de la sauterelle qui court à travers champs sur la colline.

Trad. S. Labbe