Révision

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mardi 1 mars 2011

Projet de préface aux Contes d'Hoffmann (1)


Curieuse entreprise éditoriale que celle des contes d’Hoffmann en 1829. L’éditeur, Renduel, fait précéder les textes d’une préface du romancier Walter Scott, adulé en France depuis la parution d’Ivanhoë - traduit par Defeaucompret - en 1820. Or Walter Scott détestait Hoffmann, ses conclusions sont sans équivoque :
« Il est impossible de soumettre de pareils contes à la critique. Ce ne sont pas les visions d'un esprit poétique ; elles n'ont pas même cette liaison apparente que les égarements de la démence laissent quelquefois aux idées d'un fou : ce sont les rêves d'une tête faible, en proie à la fièvre, qui peuvent un moment exciter notre curiosité par leur bizarrerie, ou notre surprise par leur originalité, mais jamais au-delà d'une attention très passagère, et, en vérité, les inspirations d'Hoffmann ressemblent si souvent aux idées produites par l'usage immodéré de l'opium, que nous croyons qu'il avait plus besoin du secours de la médecine que des avis de la critique.»(1)
Il n’était guère possible d’émettre jugement plus sévère ni plus partial. Et on ne pourra que s’étonner de l’entreprise d’un éditeur qui, en guise de promotion, choisissait de présenter l’auteur sous un jour si défavorable. C’est que l’opération paraissait bien aléatoire, si Loève-Weimar, le traducteur, bénéficiait d’une certaine aura mondaine, Hoffmann était quasiment inconnu du public. Quelques revues avaient certes mentionné son nom au cours de l’année précédente mais son œuvre demeurait ignorée. Renduel avait donc cherché un nom susceptible de conjurer les risques qu’entraînait une telle publication, une caution littéraire en quelque sorte. Loève-Weimar sut cependant manœuvrer pour s’attirer les faveurs de la presse et les Contes devaient emporter en France un véritable succès populaire qui ne se démentirait pas au cours des éditions successives, faisant constater à Théophile Gauthier(2), en 1836, qu’Hoffmann était désormais plus populaire en France qu’en Allemagne.
Si l’opposition entre Walter Scott et Hoffmann présente un intérêt anecdotique, elle s’inscrit plus profondément dans un contexte polémique d’où va surgir la modernité. Rappelons que la Préface de Cromwell date de 1827. Victor Hugo y défend une conception du drame qui, non contente de s’en prendre aux unités classiques défend de nouvelles valeurs : liberté d’inspiration pour l’artiste, mélange des registres, promotion du grotesque.(3)
Or que reproche Walter Scott à Hoffmann ? Sa fantaisie débridée, l’incongruité de ses intrigues, la bizarrerie de ses personnages, en un mot tout ce que Victor Hugo défend sous le nom de « grotesque ». Autrement dit, une esthétique nouvelle à laquelle l’auteur d’Ivanhoë ne peut souscrire parce qu’il appartient déjà au siècle passé. Ses exigences de rationalisme, de vraisemblance et d’éducation morale ne sont plus celles de la jeune génération romantique qui s’apprête à bouleverser en profondeur les règles de l’art occidental.
Se plaçant sous l’égide de Jacques Callot, Hoffmann se réclamait implicitement du grotesque.

(1) La préface de Walter Scott est reproduite dans l’édition Garnier Flammarion des Contes d’Hoffmann (1979), t. 1, p. 39-53.
(2) Théophile Gautier, « Les Contes d’Hoffmann », Chronique de Paris, 14 aout 1836.
(3) Le premier recueil de contes publié par Hoffmann s’intitule Fantaisies à la manière de Jacques Callot. Rappelons que Callot, graveur du XVIIe siècle, incarne le grotesque tant par sa prédilection pour la difformité que par la nature des sujets qu’il aborde, figures populaires, atrocités de la guerre, etc...

Ill. Walter Scott par J. Graham

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