Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

lundi 19 décembre 2011

When you are old... de Yeats

Jack Yeats, High Spring tide.
Avec cette paraphrase de Ronsard, Yeats compose un poème émouvant tout en déplaçant le perspective, le carpe diem devient secondaire et le poète veut privilégier l'expression de la sincérité ainsi qu'une vision mystique de l'amour qui, égaré dans les étoiles, persiste au delà de la mort.

When you are old and gray and full of sleep,
And nodding by the fire, take down this book,
And slowly read, and dream of the soft look
Your eyes had once, and of their shadows deep;


How many loved your moments of glad grace,
And loved your beauty with love false or true,
But one man loved the pilgrim soul in you,
And loved the sorrows of your changing face;


And bending down beside the glowing bars,
Murmur, a little sadly, how Love fled
And paced upon the mountains overhead
And hid his face among a crowd of stars.

Yeats, The Rose, 1893.

Quand vous serez vieille, grise, en proie au sommeil
La tête tremblotant au-dessus du foyer, ouvrez ce livre
Et lentement, lisez : vous rêverez au doux regard
Qu'avaient autrefois vos yeux, à leurs ombres profondes;

Combien vous aimèrent en ces instants de grâce heureuse,
Combien aimèrent votre beauté d'un amour factice ou véritable
Mais un homme aima votre âme en son pèlerinage,
Un homme aima jusqu'aux chagrins sur votre visage changeant;

Alors, penchée sur les braises rougeoyantes,
Murmurez un peu tristement comment l'Amour s'enfuit,
Pour franchir les montagnes, au-dessus de nous
Et dissimuler son visage dans la foule des étoiles.

trad. S. Labbe

vendredi 25 novembre 2011

Théophile Gautier

Deux articles sur l'ami Théophile qui m'ont réconcilié avec cet esthète, "poète impeccable", ciseleur incomparable de phrases.


Séquence n° 1 : Groupement de texte, Théophile Gautier et le roman historique. La séquence comporte une analyse d'une Gravure de Fernand Siméon.

Étape 1 : Ouverture du Capitaine Fracasse. Revoir les caractéristiques et la finalité d’un texte descriptif, faire saisir notamment la portée symbolique d’une description. Première approche du
concept de roman historique.

Étape 2 : Portrait de Lord Evandale in le Roman de la Momie. S’entrainer à la rédaction d’un texte descriptif, utiliser un vocabulaire précis.
Étape 3 : Extrait du Roman de la momie . Définir de façon plus précise le roman historique par sa dimension éminemment romanesque et son rapport à l’histoire.
Étape 4 : Extrait de Mademoiselle de Maupin. Analyser un topos littéraire fréquent dans le roman historique : le duel à l’épée, en comparant la scène à un extrait du Capitaine Fracasse. Relever les marques de l’ironie.
Étape 5 : Gravure de Fernand Siméon. Dans le cadre de l’histoire des arts, analyser une gravure et les effets de sens qu’elle met en avant.
Étape 6 : Entrainement à l’expression écrite. Rédaction d’un dialogue tenant compte des éléments de la scène représentée par la gravure précédemment analysée.
Étape 7 : Travaux réalisés au cours de la séquence et documentation d’un CDI  Synthétiser les notions littéraires aborder et situer l’œuvre romanesque de Gautier au sein du romantisme européen. Les exposés réalisés par les élèves serviront d’élargissement.

Étape 8 : Evaluation: Sujet d’expression écrite.

Séquence n° 2 : Mademoiselle de Maupin, roman épistolaire.

Le bicentenaire de la naissance de Théophile Gautier provoque son lot  d’études, de biographies et de rééditions. Parmi celles-ci, nous saluerons l’entreprise originale de l’école des loisirs qui, dans la collection « classiques abrégés », publie Mademoiselle de Maupin à destination des collégiens et lycéens. En effet, il est audacieux d’aborder ce premier roman d’un jeune auteur romantique qui longtemps n’occupa les manuels qu’en raison d’une préface retentissante, brillante et un brin outrancière. 
Les temps changent mais le propos du roman demeure scandaleux : l’héroïne Madeleine de Maupin, se travestit en homme et le fait si bien qu’elle finit par ressentir les désirs d’un homme et susciter même les passions de ses compagnes féminines. Le roman s’achève d'ailleurs de façon bien leste à la manière d’un roman libertin  et Gautier réussit ainsi à tromper toutes les attentes. Le lecteur du XIXe qui connaissait la légende de Madeleine de Maupin, n’aura en guise d’aventures qu’une parodie de cape et d’épée ; les admirateurs de la modernité romantique verront leurs certitudes ébranlés ...

Étape 1 : Lecture analytique de l’ouverture du chapitre IX. Identifier les caractéristiques de l’écriture épistolaire, comprendre le dilemme moral qui assaille le jeune d’Albert et les stratégies qu’il met en place pour le résoudre.
Étape 2 : Lecture analytique d’un extrait du chapitre X. Retrouver les caractéristiques de l’écriture épistolaire, analyser la revendication féministe du roman et les raisons qui poussent l’héroïne à se travestir.
Étape 3 : Langue et expression. Savoir repérer et utiliser les catégories d’énoncés dans un devoir. S’entraîner à l’écriture épistolaire.
Étape 4 : Lecture analytique de l’ouverture du chapitre XIII. Analyser la rhétorique d’une lettre d’amour et notamment l’emphase, dans l’expression des sentiments.
Étape 5 : Vocabulaire . Conformément aux indications des nouvelles I.O., on enrichira le lexique des élèves en se fondant sur les textes proposés à la lecture.
Étape 6 : Lecture synthétique du dénouement. On réinvestira, dans cette dernière séance les notions abordées précédemment et on analysera les spécificités de ce dénouement à la fois ironique et ouvert.
Étape 7 : Evaluation. Sujet d’expression écrite.
Prolongements - Quizz permettant d’évaluer une lecture cursive des chapitres X à XVII.
- Suggestions pour une exploitation de l’œuvre en classes de lycée.


lundi 17 octobre 2011

I'm happiest when most away

I'm happiest when most away
I can bear my soul from its home of clay
On a windy night when the moon is bright
And the eye can wander thru worlds of light -

When I am not and none beside -
Nor earth nor sea nor cloudless sky -
But only spirit wandering wide
Through infinite immensity.



C'est lorsque je peux projeter mon âme, loin,
Bien au delà de sa maison d'argile, que je suis la plus heureuse
Quand, par une nuit venteuse, la lune est claire
Et que l'oeil embrasse des mondes de lumière -

Quand je ne suis plus et qu'il n'est rien alentour -
Ni terre, ni mer, ni ciel sans nuage -
Qu'un esprit grand ouvert et qui vogue
Dans l'immensité sans limite.

Emily Brontë, The complete poems, 1910.

trad. S. Labbe.

samedi 1 octobre 2011

"Le Livre de la Jungle" de Rudyard Kipling

Kipling a toujours été un de mes écrivains favoris. Idéologiquement suspect, il est plongé dans une sorte de purgatoire dont son génie devrait le tirer bientôt. La séquence qui suit est axée sur l'histoire des arts puisque s'y trouvent analysés. L'Illustration de couverture d'Henry Delaunay et le très bel Album de Mordicai Gerstein, L'Enfant sauvage.

Séquence publiée dans le n°1 de l'Ecole des lettres 2011-2012

Étape 1 : Situation du recueil.À partir du para-texte et des quelques documents complémentaires on amènera les élèves à comprendre ce que doit l’écriture romanesque à l’expérience de son auteur.
Étape 2 : Lecture analytique d’un extrait de la première nouvelle. L’épisode du « sauvetage » de Mowgli par le clan des loups de Seeonee nous permettra d’étudier la technique narrative de Kipling (une focalisation zéro qui multiplie les points de vue subjectifs et autorise le principe de l’« intrusion d’auteur ») et de faire saisir les enjeux du récit.
Étape 3 : Les valeurs du présent dans le récit. À partir d’une observation du texte précédemment étudié et d’une série d’exercices, on fera distinguer et utiliser les valeurs du présent de l’indicatif.
Étape 4 : Lecture synthétique de La Chasse de Kaa. L’étude de la nouvelle permettra d’appréhender
le thème de l’apprentissage, l’une des dimensions essentielles du recueil dont l’ensemble constitue un véritable roman d’apprentissage.
Étape 5 : Entrainement à l’expression écrite.  L’exercice d’écriture proposé aura pour effet de faire réinvestir les notions abordées au début de la séquence : valeurs du présent, narration avec intrusion d’auteur, anecdote à visée didactique.
Étape 6 : Analyse du récit de Hathi dans Comment vint la crainte. La séance aura pour objectif de faire saisir ce qu’est un conte étiologique, elle peut constituer une première approche de ce type de récit que le programme de sixième conduit nécessairement à explorer.
Étape 7 : Lecture d’image, l’illustration de couverture. La séance constitue un prolongement naturel à la précédente et permettra d’intégrer la réflexion sur l’histoire des arts à laquelle convient les nouveaux programmes. « Certains textes appellent un regard sur le travail des illustrateurs », rappellent les IO pour la classe de 6e.
Étape 8 : Analyse de la nouvelle intitulée L’ankus du roi. La nouvelle dont l’histoire se déploie en deux étapes distinctes permettra de définir ce qu’est la dimension initiatique du récit et de montrer en quoi les aspirations de Mowgli s’opposent aux valeurs de la civilisation.
Étape 9 : Étude de l’album de Mordicai Gerstein, L’enfant sauvage. On pourra, pour prolonger la perception que le récit de Kipling a donnée de la confrontation nature culture, proposer la lecture et une brève analyse de l’album de Mordicai Gerstein qui reprend avec talent l’histoire de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron.
Étape 10 : Le personnage de Mowgli. Après avoir évalué la lecture cursive de l’ensemble du recueil, on interrogera le personnage de Mowgli, son rôle dans les différentes intrigues, les significations qu’il prend dans le contexte d’une jungle métaphorique.

Étape 11 : Évaluation, sujet type D.N.B. conçu plus particulièrement pour une classe de quatrième, en vue d’une initiation aux épreuves de type D.N.B., l’évaluation présentée ici pourra aisément être adaptée au niveau de classe retenu par le professeur.

Le Phare de l'oubli de Fabian Grégoire

Les phares font rêver, sentinelles de nos côtes, ils sont l’acte de solidarité des terriens à l’égard des gens de mer. Dressés au bord de l’abîme, leurs puissantes lueurs balisent les nuits inquiètes du navigateur. 
Avec Le Phare de l’oubli, Fabian Grégoire réalise un magnifique album à vocation didactique certes – puisqu’on y apprend, selon le principe de la collection « Archimède », l’histoire des phares –, mais aussi dramatique et poétique. 
L’histoire, c’est le combat d’une adolescente, Lucie (évidemment !), pour conserver le fragile équilibre qu’une vie funeste lui a réservé. Son grand-père, gardien de phare (la seule famille qu’il lui reste), perd la tête, la jeune femme le remplace donc clandestinement dans ses fonctions, dissimulant autant qu’elle le peut sa situation aux inspecteurs des phares. Elle finira néanmoins par confier son secret au narrateur, un jeune garçon qui vient de la ville. 

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lundi 22 août 2011

Quand Ursula Le Guin revisite l'Enéide

Quand les auteurs de science-fiction se saisissent du péplum, le résultat peut s’avérer surprenant. Robert Silverberg, par exemple, accomplit la prouesse de réécrire l’épopée de Gilgamesh en oblitérant toute dimension surnaturelle.
Ursula Leguin, quant à elle, réenchante l’Énéide en donnant vie et parole à Lavinia, la princesse du Latium, dont Virgile n’avait guère qu’esquissé les traits, réduisant la jeune femme au statut d’enjeu héroïque. Avec Lavinia, la romancière réussit ce paradoxe de créer un personnage qui a la conscience de ne devoir son existence qu’aux quelques lignes que lui consacre Virgile mais dont l’humanité, la fragilité ne cessent d’impressionner le lecteur au fil des pages.


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mardi 12 juillet 2011

Pour célébrer Hammett

Hammett est mort il y a cinquante ans.
Cantonné dans le genre mineur – le «mauvais genre» du roman noir, il aura pourtant exercé sur la littérature générale une influence considérable. Les auteurs de romans policiers, bien sûr, lui sont redevables (Chandler, Cain, McDonald, Simenon), mais aussi Hemingway, Steinbeck, et sans doute, de manière indirecte, Camus ou Duras.
 Hammett a peu écrit, on lui doit cinq romans et une cinquantaine de nouvelles. Le cinquantenaire de sa mort aura au moins eu la vertu d’amener les éditions Gallimard à revoir la traduction des romans. Publiés dans les années cinquante dans la mythique « Série noire », les traductions de Marcel Duhamel et Henri Robillot s’éloignaient considérablement du texte original, tant par le style que par les coupures opérées. Les nouvelles traductions dues à Pierre Bondil et Nathalie Beunat, universitaire spécialiste de l’œuvre, évitent l’argot surannée des années cinquante et restituent le texte dans son intégralité.
https://www.ecoledeslettres.fr/pour-celebrer-dashiell-hammett/




samedi 9 juillet 2011

The organ swells, the trumpet sounds...

Voici un poème d'Emily Brontë, écrit, d'après Virginia Moore (l'une des ses biographes) à Low Hill, une école située non loin d'Halifax où elle devait enseigner au cours de l'année 1838. Il semble qu'Emily connut cette année-là des troubles d'ordre sentimentaux mais l'objet de ces désordres réduit tous ses biographes à d'incessantes conjectures.

The organ swells, the trumpet sounds,
The lamps in triumph glow;
And none of all those southands round
Regard who sleep below.

Those haughty eyes that tears should fill
Glance clearly, cloudlessly;
Those bounding breasts that grief should thrill
From thought of grief are free.

His subjects and his soldiers there
They blessed his rising bloom;
But none a single sigh can spare
To breathe above his tomb.

Comrades in arms, I've looked to mark
One shade of feeling swell,
As your feet stood above the dark
Recesses of his cell.

Le son de l'orgue s'élève, les trompettes retentissent,
Les lampes, triomphales, brillent;
Et nul, à l'entour, parmi ces milliers d'hommes,
Ne considère qui dort au-dessous d'eux.

Ces yeux hautains que les larmes devraient emplir
Reflètent la clarté, sans nuages
Ces seins rebondis que la douleur devrait étreindre
Échappent à la pensée même de la douleur.

Ses sujets et ses soldats, ici-même,
Ont béni la fleur de son ascension nouvelle;
Mais nul n'a seulement un soupir,
A exhaler sur sa tombe.

Frères en armes, j'ai cherché la marque,
L'ombre d'un regret,
Alors que vos pieds foulaient les ténèbres
De son cachot caverneux.

Le poème est cité dans la biographie de Virginia Moore, Gallimard, 1939.

Trad. S. Labbe.

Ill. Emily Brontë interprétée par I. Adjani dans le film d'A. Téchiné, 1979.

vendredi 8 juillet 2011

"Quatre soeurs", "Enid" de Malika Ferdjoukh

Séquence destinée aux classes de sixième, publié dans le n° 7-8 de l'Ecole des lettres (juin 2011). La liste de lecture recommandée par le ministère de l'éducation nationale, publiée depuis la parution de cet article recommande la lecture d'Enid pour les classes de cinquième. La séquence proposée est parfaitement adaptable à ce niveau. Le roman de Malika Ferdjoukh, premier volume d'une tétralogie, est une réussite : vivacité de l'intrigue, inventivité verbale, variété des tonalités ponctuées par un humour joyeux... A un lecteur qui déplorait que le roman fût une lecture pour fille, l'auteure devait répondre "C'est un livre pour les filles et... pour les garçons intelligents."

Étape 1 : Étude de texte, ouverture du roman. Avec l’étude de l’ouverture on fera découvrir le procédé de la focalisation interne et on analysera comment se mettent en place un univers, un personnage.
Étape 2 : Expression, rédaction d’une ouverture de roman  La comparaison des quatre ouvertures de roman de la tétralogie permettra d’approfondir la notion de point et d’initier un exercice d’expression écrite.
Étape 3 : Étude de la langue, la phrase non verbale. L’utilisation judicieuse que fait Malika Ferdjoukh des phrases non verbales nous conduira à interroger le statut des ces phrases. Au lieu de nous borner à l’habituel constat qu’une phrase non verbale est une phrase sans verbes nous mettrons en évidence les modalités de ses constructions syntaxiques et son utilité stylistique.
Étape 4 : Étude de texte, le coucher à la Vill’Hervé, p26-29. L’étude de ce texte permettra d’aborder deux des thématiques essentielles du roman : les relations sororales et le surnaturel, ces deux thèmes convergeant vers une thématique plus profonde qui est celle du deuil.
Étape 5 : La construction du personnage, les cinq sœurs d’après les deux premiers chapitres. On se servira des deux premiers chapitres pour montrer que la construction d’un personnage résulte d’un processus complexe qui conduit le lecteur à synthétiser et décrypter de multiples sources
d’informations.
Étape 6 : Étude de texte, la dispute entre Hortense et Bettina, p. 52 à 55. La scène de la dispute permettra de réinvestir un élément déjà étudié au cours de l’année (le schéma narratif), de préciser la notion de scène romanesque et d’analyser le personnage de Colombe qui fait ici sa première apparition.
Étape 7 : La rivalité Colombe / Bettina, fil directeur de l’intrigue. On montrera, au cours de cette séance, en quoi l’opposition Colombe / Bettina constitue l’un des fils essentiels de l’intrigue romanesque. Alors que l’une personnifie tous les défauts de l’adolescence l’autre incarne une forme de perfection, voire un idéal.
Étape 8 : Étude de texte, La résolution d’un mystère, p. 122 à 125. L’analyse du texte permettra de mettre en évidence l’autre fil directeur du récit (la quête de Swift), de montrer que le roman se rattache par certains aspects au genre de l’ « étrange » et d’introduire la double visée initiatique et poétique de l’écriture.
Étape 9 : Analyse de quelques uns des centres d’intérêt majeurs du roman. On proposera quelques pistes d’analyse qui pourront être abordées soit par le biais d’exposés, soit par l’élaboration de questionnaires. L’étude du surnaturel, des dimensions initiatique et poétique du roman, permettront de montrer qu’une œuvre de littérature pour la jeunesse peut s’avérer aussi riche qu’une œuvre de littérature générale.

Evaluation : Sujet d’expression écrite. On proposera la rédaction d’une scène avec pour contrainte grammaticale l’utilisation de phrases non verbales.

Les quatre fille du pasteur March, de Louisa May Alcott

Article publié dans le n° 7-8 de l'Ecole des lettres, juin 2011 (année 2010-2011 sur le site), http://www.ecoledeslettres.fr/index.php

Oeuvre de littérature jeunesse pour les sixième, roman du XIXe qui se signale par sa portée idéologique pour les quatrièmes, récit d'enfance en grande partie autobiographique pour les troisièmes, Les quatre filles du Pasteur March est un roman qui mérité d'être redécouvert. J'ai, de mon côté, été positivement étonné par la richesse de cette oeuvre qui me semblait assez anecdotique - il faut dire que certaines transpositions cinématographiques n'ont pas aidé à la faire reconnaître en tant qu'oeuvre littéraire.

Étape 1 : Réflexion sur un titre. Il s’agira, à travers cette séance de montrer, en s’appuyant sur la préface de Malika Ferdjoukh, comment le monde francophone n’a eu de Little Women et, pendant très longtemps, qu’une version édulcorée.
Étape 2 : Lecture analytique de l’ouverture. On saisira à travers l’étude de cette ouverture, l’une des caractéristiques formelles du roman à savoir la polyphonie énonciative, on pourra entamer avec des classes de quatrième troisième une réflexion sur les points de vue narratifs.
Étape 3 : L’intertextualité dans Les quatre filles…   Outre l’intérêt qu’il y a de faire comprendre la notion d’intertextualité, on approfondira le sens de la référence à Bunyan heureusement restituée par la traductrice et qui constitue l’un des fondements idéologiques de l’entreprise romanesque.
Étape 4 : Dictée préparée. La séance d’orthographe qui prend appui sur un extrait du tome 2 permettra d’aborder le rôle et la conception de l’écriture dans la vie de Louisa M. Alcott qui évidemment s’est identifiée à son héroïne. On reviendra avec une classe de sixième sur les difficultés du passé simple et sur quelques problèmes d’homophonie.
Étape 5 : Lecture analytique d’un extrait du chap. 5 « Gros fardeaux. »: la lecture analytique de
l’extrait proposé, permettra d’étudier la fonction d’un retour en arrière, fonction explicative qui permet au lecteur de comprendre pourquoi la famille March vit dans un relatif dénuement et d’approfondir la complexité du personnage de Jo dont les aspirations sont contrariées par les principes de réalité et d’autorité incarnés en la tante March.
Étape 6 : Morphologie et fonctions du plus que parfait et du conditionnel. L’étude simultanée du plus que parfait et du conditionnel permet de mettre en avant les valeurs antithétiques de ces deux temps par rapport à un système énonciatif qui évoque une succession de  moments de référence à l’imparfait passé simple et d’initier la séance suivante sur la temporalité du récit.
Étape 7 : Exercice d’expression. On utilisera l’un des aspects elliptique de l’histoire du vieux M. Laurence pour proposer un exercice d’écriture consistant à rédiger un retour en arrière dans lequel on fera utiliser les temps étudiés dans la séance précédente.
Étape 8 : Le temps dans le roman. Il s’agira avec cette séance et par le biais d’un relevé des indices temporels de mettre en avant la structure particulière d’un roman qui repose sur une certaine linéarité tout en valorisant l’aspect atemporel de l’enfance.
Étape 9 : Lecture analytique d’un extrait du chap. 16,  " Sombres journées " À travers l’étude d’un extrait à tonalité particulièrement pathétique on montrera comment le narrateur entraîne le lecteur sur de fausses pistes en jouant judicieusement des points de vue narratifs.
Étape 10 : Un roman autobiographique. Cette séance permettra de faire comprendre ce qu’est une auto-fiction, autrement dit : comment l’auteur, prenant appui sur des aspects déterminants de son existence, construit un univers romanesques qui mêle fiction et réalité.

Étape 11 : Évaluation : Le sujet proposé est un sujet de brevet dont on pourra adapter le contenu à la classe visée. L’extrait qui sert de support est l’un des plus intéressants du roman en ce qu’il révèle l’ambiguïté du personnage principal et récuserait, à lui seul, l’idée reçue selon laquelle Les quatre filles du pasteur March ne serait qu’une bluette destinée aux jeunes filles naïves. 

La Bibliographie publiée aux pp. 27 à 29 de la revue peut désormais être complétée

L'essai de Charline Bourdin, Louisa May Alcott ou la véritable histoire de Joséphine March a été publié aux Editions du Devin en 2012.

Une biographie de L.M. Alcott a été publiée chez Vuibert en 2014.
Viviane Perret, Louisa May Alcott, la mère des filles du docteur March, Vuibert, octobre 2014.

Le site de Charline Bourdin est désormais consultable sur : 

lundi 2 mai 2011

Vous croyez qu'il a pensé à tout ça ?

"Vous croyez qu'il a pensé à tout ça, Baudelaire?" - en quatrième ce sont souvent mes commentaires de Charlotte Brontë qui suscitent la question. J'aime cette question. Parce que je me la suis posée et que je l'ai posée. Et qu'elle traduit souvent un profond scepticisme, derrière cette question, il faut en réalité entendre : "Vous êtes sur que ça sert à quelque chose toutes ces explications?"
Mais personne (en ce qui me concerne) n'y a jamais répondu de façon satisfaisante.
Et je ne suis pas certain de faire mieux. Mais essayons.
- Oui il (elle) y a pensé!
Scepticisme encore plus grand...
- Baudelaire, Charlotte Brontë était des génies!
- Et alors?
- Et bien je pense qu'en écrivant l'Albatros, Baudelaire ne s'est pas dit "Tiens je vais mettre une métonymie ici! Ou "je vais faire de supers antithèses sur des rythmes binaires!" Non il a écrit et réécrit son poème. Il l'a lu, il n'en était pas forcément content, alors il l'a repris, il l'a retravaillé et il y a eu un moment où il s'est dit "Ca y est! J'y suis". Est-ce qu'il savait pourquoi son poème était bon? Est-ce que Charlotte Brontë savait pourquoi sa scène de rencontre était extraordinaire? Ca je n'en suis pas sûr. Mais, à la limite, ça, ce n'était pas leur travail, c'est le notre. Nous, on cherche à savoir pourquoi l'Albatros et Jane Eyre ont résisté au temps, pourquoi on les étudie toujours. Et l'une des raisons, elle est là : dans le fait que l'artiste à utilisé tout un ensemble de moyens particulièrement efficaces (des métonymies, des symboles, des rythmes binaires...) mais il l'a fait de façon intuitive. C'est ça l'inconscient créateur, il pense à tout mais de façon subliminale et il produit des oeuvres extraordinaires qu'on ne cesse et qu'on ne cessera jamais de (re)découvrir. Donc, pour répondre à la question, oui, il (elle) a pensé à tout ça, mais il ne s'en est pas forcément rendu compte.

Illustration de F.H. Townsend pour la scène de rencontre de Jane Eyre

dimanche 1 mai 2011

"Les Âges de la vie" de Caspar Friedrich

"Les Âges de la vie" de Caspar Friedrich, 12 p., L'école des lettres n° 4-5, 2010-2011.

Comment aborder certaines notions littéraires par le détour de la peinture en 4e.

Le tableau de Caspar Friedrich sert de fil conducteur à une réflexion sur différents aspects de la littérature (histoire, techniques, registres...)

1/ Le romantisme
Comparaison entre les Âges de la vie de Caspar Friedrich et Port de mer au soleil couchant de Le Lorrain.
Prolongement : comparaison entre un sonnet de Malherbe et "Lucie" de Musset.

2/ La Métaphore et l'allégorie
Analyse de la dimension allégorique du tableau dans la tradition de Baldung.
Prolongement : Analyse du Voyage de Florian.

3/ Le lyrisme
Redéfinition de la notion en tenant compte des travaux de J.M. Maulpoix.
Prolongement : suggestions diverses à partir de Ronsard, Baudelaire...

mercredi 2 mars 2011

Projet de préface aux Contes d'Hoffmann (4)


Nul doute que ce premier « épanchement du songe dans la vie réelle », pour paraphraser Nerval, ne soit l’un des moteurs de la création Hoffmannienne : il contribue aussi grandement à instaurer cette hésitation si nécessaire à l’avènement du fantastique selon Todorov (9). Car, si les thèmes d’Hoffmann sont les futurs canons de la littérature fantastique : le diable (« Les Aventures des Nuits de la Saint-Sylvestre »), la créature maléfique (« L’Homme au sable »), le spectre (« La Vision »), l’intersigne (« Les Mines de Falun »), leur traitement - en particulier le goût d’Hoffmann pour l’esthétique décalée du grotesque - rend nécessaire le recours au rêve pour expliquer l’excentricité des situations qu’il met en place.
Le fantastique d’Hoffmann ne s’ancre que secondairement dans la réalité, son excès même le condamne à ne laisser dans la conscience du lecteur que la trace fuligineuse des rêves dont il est issu. Mais c’est aussi ce qui fait son singularité et sa modernité. Philippe van Thieghem soulignait déjà en 1961 (10) la prodigieuse originalité d’Hoffmann : « Les récits d’Hoffmann, écrit-il, apportèrent au romantisme, une source de mystère et de fantastique qui relayait la tradition romantique du roman noir anglais dans un esprit plus moderne. » et de noter ensuite l’influence qu’il eut sur des auteurs tels que Balzac, Nerval, Gautier ou Baudelaire. C’est évidemment la seconde génération romantique qui fut sensible aux bizarreries du génie hoffmannien celle qui, rompant encore de manière plus franche avec la rationalité du siècle des lumières et avec la nécessité de l’illusion référentielle, devait fasciner l’avant-garde des symbolistes, et continuer d’exercer une fascination durable sur les surréalistes ou des sur des romanciers comme Jouve, Mandiargues ou Julien Gracq. L’introduction de l’œuvre d’Hofmann en France correspond indubitablement à un tournant de notre histoire littéraire et son influence fut aussi durable que déterminante.


9 Todorov, Introduction à la littérature fantastique, « Points », Seuil, 1976.
10 Philippe van Thiegem, Les influences étrangères sur la littérature française, 1550-1880, P.U.F., 1961.

Ill. Notre édition des Contes d'Hofmmann pour l'"Ecole des Loisirs.

Projet de préface aux Contes d'Hoffmann (3)


Et c’est bien la thématique de la femme fatale, d’essence surnaturelle, que l’on trouve au cœur de nouvelles comme « La nuit de la saint-Sylvestre », « L’Homme au sable », « Les Mines de Falun » ou même « La Vision ». « Les Aventures de la Nuit de la Saint-Sylvestre », nous semblent, à ce titre, particulièrement révélatrices puisque le drame de la femme perdue s’y construit en écho. Aux déconvenues du narrateur qui un instant croit retrouver l’amour de sa jeunesse et s’aperçoit, au cours d’une scène de désillusion traitée de façon bien ironique, qu’elle est mariées à une « sotte figure aux jambes d’araignées », correspondent les aventures d’Erasme Spikher succombant à la vénéneuse Giulietta clairement complice d’un signor Dappertutto qui n’est autre que le diable lui-même. Si le conte rappelle l’intrigue du récit de Cazotte il entre en résonnance avec le drame que vécut Hoffmann au moment où il était le maître de musique de Julia Marc (cf. chronologie) et Marcel Schneider (7) établit judicieusement le lien entre cette aventure et la vocation d’Hoffmann conteur : « Que fait Julia Marc pendant les semaines où son ami, son maître de musique, le fou, le délicieux Hoffmann est en train de devenir Ernst-Thodor-Amadeus ? Aperçoit-elle en lui un changement, une métamorphose ? Il est en train de la spiritualiser, de l’éterniser… » Autrement dit, l’auteur est entré en plein processus créatif. Dans une perspective jungienne, on dira du narrateur hoffmannien qu’il est aux prises avec les séductions de l’anima, cette part féminine de lui-même. Archétype de l’inconscient masculin que l’homme projette sur l’être aimé, dangereuse séductrice qui peut le conduire à sa perte (« Les Mines de Falun »), l’anima est aussi ce principe essentiel qui conduit l’artiste dans le labyrinthe de l’inconscient pour lui permettre d’extraire de ces régions ignorés le suc même de sa création. L’archétype de l’anima est donc duel, comme tous les archétypes et c’est cette ambivalence qu’Hoffmann ne cesse d’interroger de « La Nuit de la Saint-Sylvestre », aux « Mines de Falun », en passant par l’ « Homme au sable ». La perte de l’anima occasionne d’ailleurs la cessation de toute possibilité créatrice : le conseiller Krespel, une fois sa fille (double de sa mère) enterrée renonce au violon, et alors que la petite Marie du célèbre Casse-noisettes git entre la vie et la mort, l’histoire semble suspendue, arrêtée ; il faut alors recourir à d’autres expédients, d’autres histoires pour relancer l’intrigue en attendant que l’héroïne ait retrouvé sa vitalité pour conduire le conte à son terme et le héros à son accomplissement. « Les Mines de falun », soulignent à l’inverse les dangers des séductions de l’anima quand elle s’accompagne de tentations régressives : au lieu d’aller vers le mariage et la maturité affective, le héros cède à l’appel de la mine qui le conduit à la mort et à une pétrification hautement symbolique.
Cette prégnance des matériaux inconscients explique sans doute le rejet de Walter Scott qui préférait tirer les légendes vers les claires lumières de la raison, elle explique aussi l’aura d’onirisme qui émane des contes. Et leur succès auprès des surréalistes. « Le dieu des rêves, écrit Albert Béguin (8) a dicté à Hoffmann, ses œuvres les plus dramatiques, les plus sombres, comme ses contes les plus légers et lumineux. » Des mines hantées de Falun à l’univers merveilleux de « Casse-Noisette », partout le rêve est à l’œuvre dans l’univers d’Hoffmann et le rêveur, partout soumis aux vertiges de la confusion.
Sont-elles réelles, ces scènes de son enfance que Natahanaël, héros de « L’Homme au sable », fait revivre pour son ami Lothaire ? Y a-t-il dans ces Coppelius et Coppola qui hantent ses nuits, le menaçant de le priver de ses yeux, la moindre once de réalité ? La tendre fiancé Clara pense que non : « c’est ta croyance en leur pouvoir ennemi qui peut seule les rendre puissante », affirme-t-elle sereinement. Mais Nathanaël ne veut (ne peut ?) rien entendre. Et, malgré l’objectivation subie par le récit à partir du chapitre IV, le lecteur ne peut s’empêcher, une fois le conte refermé, de se demander si ce terrible marchand de sable n’a pas été que le fruit d’un rêve. Et que penser, dans un conte comme « La Vision », de la Dame blanche d’Adelgunde, de l’étrange renversement de situation qui s’y opère ? De cette sœur qui se charge du fardeau de la folie quand Adelgunde retrouve miraculeusement la raison ? Le lecteur soupçonne bien quelque défaillance psychique, quelque phénomène d’inflation des matériaux inconscients mais demeure dans le perplexité.


7 Marcel Scneider, Hoffmann le météore, Editions du Rocher, 2006.
8 Albert Beguin, L’Âme romantique et le rêve, José Corti, 1991.

Ill. A Naiad, tableau de J. Waterhouse. La Naïade est une figuration de l'archétype de l'anima.

mardi 1 mars 2011

Projet de préface aux Contes d'Hoffmann (2)


Rappelons que pour Victor Hugo le « grotesque » était un principe esthétique destiné à se conjurer le « sublime » qui jusque là, constituait l’idéal, l’essence tonale de la tragédie classique. Avec le grotesque Hugo réhabilitait le bizarre, l’incongru, le goût pour la disproportion et la difformité, la raillerie ironique et le rire libérateur du bouffon, figure emblématique du concept. Or il n’est pas un conte du recueil que nous présentons ici qui ne puisse, d’une façon ou d’une autre, se réclamer du concept de grotesque. Qu’il s’agisse de « La nuit de la Saint-Sylvestre » que sa composition en apparence chaotique et ses personnages, proies de malédictions plus cocasses que tragiques, font apparaître, aujourd’hui encore, d’une singulière modernité ou du « Violon de Crémone » dont la figure centrale l’excentrique conseiller Krespel constitue l’incarnation même du grotesque.
L’épisode inaugural du conte, la construction par le conseiller d’une maison sans plan concerté et au gré des intuitions de son propriétaire, pourrait nous apparaître comme un véritable manifeste de la création artistique. Aux règles de la raison, Krespel préfère les méandres de l’intuition et finit par donner à l’ouvrage « assez bon aspect », une maison dont l’extérieur revêt « l’aspect le plus bizarre » mais dont « l’arrangement intérieur » s’avère « d’une commodité extrême ». Cette maison du conseiller Krespel dont l’édification n’offre qu’un lien très indirect avec l’intrigue est cependant digne d’intérêt à plus d’un titre : on peut, comme on vient de le faire, y lire un manifeste de ce principe esthétique qu’Hugo et Hoffmann défendent, ce faisant, on y verra aussi un signe de cette ironie romantique que Pierre Schoentjes(4) définit comme une volonté délibérée de la part de l’auteur de détruire l’illusion référentielle générée par la fiction. Pierre Schoentjes recoure d’ailleurs à une lettre d’Hoffman pour décrire les rouages du processus : « Le premier principe sur lequel vous devez fonder tous vos efforts est celui-ci : guerre au poète et au musicien ! renversement de leur méchant dessein d’environner le spectateur d’images trompeuses, et de l’arracher au monde réel. »(4) Guerre à l’illusion référentielle, donc ! Il ne s’agit plus pour l’artiste de créer un univers trompeur mais plutôt de donner à lire son texte comme la manifestation d’un moi autre, insaisissable qui déjà préfigure l’inconscient freudien et renvoie le lecteur à sa propre altérité.
D’une certain manière, la maison de Krespel est une métaphore de ce moi étranger. Jung à plusieurs reprises constate que la maison représente « une sorte d’image de la psyché » (5). Et la maison Krespel, avec son aspect biscornu, sa jeune femme emprisonnée dont le chant ne peut s’extérioriser et son propriétaire étrange et monomaniaque présente bien des analogies avec notre auteur au physique particulier, compositeur méconnu, que hante une recherche effrénée de l’absolu qui sans cesse le dispute aux affres d’une sensualité obsédante.

Si le fantastique Hoffmannien s’ancre dans une certaine réalité, il n’en demeure pas moins essentiellement une cartographie de l’être une tentative effectuée par son auteur de circonscrire les régions d’un moi sans cesse menacé de dissolution. S’il est, pour prendre un exemple, une problématique qui revient sans cesse dans nos contes, c’est celle de la jeune femme d’essence surnaturelle.
Hoffman fait dire à l’un de ses héros combien il fut subjugué par le roman de Cazotte, Le Diable amoureux qui, comme on le sait, raconte une histoire d’amour passionnée entre un jeune étudiant italien, Alvare, et la fascinante Biondetta, avatar du démon : « il me tomba, fait dire Hoffmann à son héros, sous la main un livre qui produisit sur tout mon être une impression telle que je ne peux encore l’expliquer, […] Je ne voyais, je n’entendais que la charmante Biondetta ; comme Alvare, je succombais à un martyr voluptueux. »(6)


4 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, Seuil, 2001.
5 Carl Gustav Jung, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées, Gallimard, Folio, 1991.
6 Propos de Victor, héros d’un conte d’Hoffmann, L’Esprit élémentaire, cité par Pierre-Georges Castex in Le Conte Fantastique en France, Librairie José Corti, 1951.

Ill. Le Violon de Crémone (autre titre du Conseiller Krespel), adapté en BD par Tommy Redolfi chez Delcourt.

Projet de préface aux Contes d'Hoffmann (1)


Curieuse entreprise éditoriale que celle des contes d’Hoffmann en 1829. L’éditeur, Renduel, fait précéder les textes d’une préface du romancier Walter Scott, adulé en France depuis la parution d’Ivanhoë - traduit par Defeaucompret - en 1820. Or Walter Scott détestait Hoffmann, ses conclusions sont sans équivoque :
« Il est impossible de soumettre de pareils contes à la critique. Ce ne sont pas les visions d'un esprit poétique ; elles n'ont pas même cette liaison apparente que les égarements de la démence laissent quelquefois aux idées d'un fou : ce sont les rêves d'une tête faible, en proie à la fièvre, qui peuvent un moment exciter notre curiosité par leur bizarrerie, ou notre surprise par leur originalité, mais jamais au-delà d'une attention très passagère, et, en vérité, les inspirations d'Hoffmann ressemblent si souvent aux idées produites par l'usage immodéré de l'opium, que nous croyons qu'il avait plus besoin du secours de la médecine que des avis de la critique.»(1)
Il n’était guère possible d’émettre jugement plus sévère ni plus partial. Et on ne pourra que s’étonner de l’entreprise d’un éditeur qui, en guise de promotion, choisissait de présenter l’auteur sous un jour si défavorable. C’est que l’opération paraissait bien aléatoire, si Loève-Weimar, le traducteur, bénéficiait d’une certaine aura mondaine, Hoffmann était quasiment inconnu du public. Quelques revues avaient certes mentionné son nom au cours de l’année précédente mais son œuvre demeurait ignorée. Renduel avait donc cherché un nom susceptible de conjurer les risques qu’entraînait une telle publication, une caution littéraire en quelque sorte. Loève-Weimar sut cependant manœuvrer pour s’attirer les faveurs de la presse et les Contes devaient emporter en France un véritable succès populaire qui ne se démentirait pas au cours des éditions successives, faisant constater à Théophile Gauthier(2), en 1836, qu’Hoffmann était désormais plus populaire en France qu’en Allemagne.
Si l’opposition entre Walter Scott et Hoffmann présente un intérêt anecdotique, elle s’inscrit plus profondément dans un contexte polémique d’où va surgir la modernité. Rappelons que la Préface de Cromwell date de 1827. Victor Hugo y défend une conception du drame qui, non contente de s’en prendre aux unités classiques défend de nouvelles valeurs : liberté d’inspiration pour l’artiste, mélange des registres, promotion du grotesque.(3)
Or que reproche Walter Scott à Hoffmann ? Sa fantaisie débridée, l’incongruité de ses intrigues, la bizarrerie de ses personnages, en un mot tout ce que Victor Hugo défend sous le nom de « grotesque ». Autrement dit, une esthétique nouvelle à laquelle l’auteur d’Ivanhoë ne peut souscrire parce qu’il appartient déjà au siècle passé. Ses exigences de rationalisme, de vraisemblance et d’éducation morale ne sont plus celles de la jeune génération romantique qui s’apprête à bouleverser en profondeur les règles de l’art occidental.
Se plaçant sous l’égide de Jacques Callot, Hoffmann se réclamait implicitement du grotesque.

(1) La préface de Walter Scott est reproduite dans l’édition Garnier Flammarion des Contes d’Hoffmann (1979), t. 1, p. 39-53.
(2) Théophile Gautier, « Les Contes d’Hoffmann », Chronique de Paris, 14 aout 1836.
(3) Le premier recueil de contes publié par Hoffmann s’intitule Fantaisies à la manière de Jacques Callot. Rappelons que Callot, graveur du XVIIe siècle, incarne le grotesque tant par sa prédilection pour la difformité que par la nature des sujets qu’il aborde, figures populaires, atrocités de la guerre, etc...

Ill. Walter Scott par J. Graham

dimanche 27 février 2011

Yeats, A poet to his beloved


I bring you with reverent hands
The books of my numberless dreams,
White woman that passion has worn
As the tide wears the dove-grey sands,
And with heart more old than the horn
That is brimmed from the pale fire of time:
White woman with numberless dreams,
I bring you my passionate rhyme.

The Wind among de reeds
, 1899.

Je t'apporte de mes mains empressées
Les livres de mes rêves sans nombre,
Blanche dame que la passion a usée
Comme la marée épuise de ses roulements le sables gris
Dont le coeur est plus vieux que la corne
Débordant des pâles flammes du temps :
Blanche dame aux rêves sans nombre,
Je t'apporte mes vers emplis de passion.

William Butler Yeats, Le Vent dans les roseaux.

samedi 26 février 2011

Les contes d'Hoffmann

Nouvel ouvrage de commande. J'ai eu beaucoup moins de mal cette fois-ci à me replonger dans l'univers d'Hoffmann puisque Hoffmann a été l'une des grandes révélation littéraire de mon adolescence: je garde un souvenir ébloui de la première lecture de ses contes et la révélation, avant même de connaître le fameux aphorisme de Baudelaire, que le beau est "toujours bizarre". Le plus dur était de choisir, j'ai retenu Les Aventures de la Nuit de la Saint-Sylvestre pour l'espèce de maestria avec laquelle le maître se joue des thèmes fantastique - et pour la référence à Cazotte -, L'Homme au sable, l'un des plus effrayants et à cause aussi de la magistrale lecture de Freud, Casse-Noisette - qui aurait mérité une publication séparée -, Le Violon de Crémone, l'un des plus déjantés, qui a la beauté de certains rêves, Les Mines de Falun qui m'avait marqué, sans doute à cause des variation sur le motif jungien de l'anima, La Vision, sombre histoire de spectre menée avec une grande intelligence de la narration et Le spectre fiancé, l'histoire sans doute la moins connue mais qui vaut le détour pour ses références au mesmérisme et son côté un peu suranné.
Les anciennes traductions ont été révues mais le mérite en revient entièrement au directeur de collection, mon allemand s'avérant un souvenir à peine moins nébuleux que les fantômes de La vision.
La première préface ayant été refusée je l'ai réécrite mais la première figure sur ce blog.

J'ai conçu une séquence pour les quatrièmes disponible sur le blog de l'école des lettres, elle peut être adressée gratuitement à qui la demande :
http://www.ecoledeslettres.fr/blog/litteratures/les-contes-dhoffmann-sequence-pour-la-classe-de-quatrieme/