Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

mercredi 11 février 2015

Pour un enseignement des sciences humaines au collège

Notre système scolaire est vieux, où du moins il fonctionne sur des bases anciennes qui au fond tiennent peu compte de l'évolution des savoirs.
Les événements malheureux et récents qui ont créé un mouvement d'union nationale ont aussi suscité des réflexes de pensée, en gros, face à l'adversité et au terrorisme il faut
- apprendre la Marseillaise
- plus de discipline
- plus de mixité sociale
- plus de français (la discipline)
Les deux derniers points ne sont guère contestables, surtout lorsque l'on voit à quelle peau de chagrin s'est réduit l'enseignement du français, ces vingt dernières années.
Je crois malgré tout qu'il manque dans notre enseignement une discipline qui permette à nos élèves de se placer en situation d'empathie. Notre ministre remet l'accent sur la lutte contre le harcèlement à l'école et c'est très bien. Harcèlement, fanatisme procèdent d'une incapacité à considérer l'autre comme un autre soi-même.
Quelles sont les disciplines qui nous permettent de comprendre l'autre ? Psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, linguistique. Il ne s'agit pas d'asséner deux heures supplémentaires de cours mais de procéder à un enseignement vivant qui, fort des théories, découvertes effectuées dans ces domaines permettent de comprendre, ressentir, admettre la différence.
On peut expliquer en classe le phénomène du bouc émissaire, on peut faire éprouver par des jeux de rôles le poids de l'inconscient dans les relations humaines et parvenir à faire admettre que certaines relations, certains comportement sont toxiques. Un collégien peut interroger le langage, la religion, la différence des sexes, le rôle de l'art ...
Térence et son "rien de ce qui est humain ne m'est étranger" sont toujours d'actualité. Nous avons désormais plus d'outils pour cerner l'humanité, faisons en sorte qu'ils servent.

samedi 7 février 2015

"Dans la nuit blanche et rouge" de Jean-Michel Payet

La jeune comtesse Tsvetana Kolipova est prise dans les tourments de la révolution russe de 1917. Elle rêve d'un monde plus juste et s'active secrètement pour aider à la publication d'une revue contestataire. Mais dans cette Russie en ruine épuisée par la famine, les épidémies et des années de conflits, la police secrète veille. Et Tsvetana ne doit son salut qu'aux interventions d'un mystérieux jeune homme, Roman Vrabec, dont elle tombe amoureuse.
Parallèlement la jeune femme cherche à pénétrer les arcanes d'un secret de famille, son défunt père a mené une double vie et Tsvetana aimerait connaître cette demi-soeur qui lui ressemble de façon troublante.
Roman historique teinté de fantastique, le roman de Jean-Charles Payet reprend de façon jubilatoire et maîtrisée les recettes du roman d'aventures historique. Dumas énergisé par une écriture moderne qui joue avec brio des points de vue narratifs divers. L'oeuvre est recommandée en lecture cursive par le ministère de l'éducation nationale, niveau 3e, mention méritée.

jeudi 5 février 2015

"En Syrie" de Joseph Kessel

Une expérience de la nostalgie

Les reportages de Kessel appartiennent probablement à ces objets que Frederic Jameson (1) qualifie de « camp », ces œuvres qui suscitent en nous un intérêt nostalgique. Il serait vain de chercher une explication aux conflits qui déchirent actuellement la Syrie dans ces pages de Kessel (2), que réédite Gallimard et qui figurent parmi les premières enquêtes du futur grand reporter.
L’expérience nostalgique fait remarquer Jameson se caractérise généralement par « un attachement à un moment du passé entièrement différent de celui que nous vivons aujourd’hui ». Si les reportages de Kessel relèvent du « camp » c’est parce qu’ils renvoient à un monde disparu. Un monde où voyager avait encore du sens. Où prendre le train, le bateau, voire même l’avion, constituait en soi une aventure, parce qu’il fallait du temps pour franchir les distances, parce que le risque n’était jamais vraiment très loin.

Éviter de vivre en journaliste

Kessel s’intéresse peu à la politique ou aux institutions, il aime les hommes, la vie, les grands espaces qui lui inspirent de belles pages lyriques. Lorsqu’il arrive en Syrie en il avoue très peu connaître la situation : le pays, sous mandat français, est déchiré par les conflits religieux, et la France ne se montre pas à la hauteur du rôle que lui a confié la SDN. Mais Kessel se refuse à « vivre en journaliste », à perdre « ses journées avec des généraux et des hauts-fonctionnaires. »
À Beyrouth, Il veut rencontrer les hommes, l’émir Haïdar, chef – et allié ‑ druse avisé, les chrétiens de l’Ouest qui confessent leur culte de l’argent et l’étourdissent d’un luxe de conte de fée. Se rendre à Damas distante de cent cinquante kilomètres prend douze heures en train. L’auteur de L’Équipage se fait une joie d’accompagner les aviateurs français au-dessus du Djebel druse révolté. « Aucune description n’aurait pu me faire saisir ce que ce lieu a de tragique, d’inhumain, aucun récit ne m’aurait donné cette vision, ni permis de comprendre le danger de survoler un pays en révolte. »

Entre épopée et poésie

Kessel pénétrera aussi dans la ville souterraine de Beyrouth, « labyrinthe de cauchemar », où ne se hasardent jamais les occidentaux. On y entrevoit les Barnabagues, ces tueurs pénétrés du sentiment « qu’Allah les avait mis au monde comme un coutelier fait des couteaux. » On y rencontre aussi, au cœur du labyrinthe, sous la ville souterraine elle-même, des « spectres », victimes du haschich, qui tel les Lotophages de l’Odyssée ont perdu à la fois la mémoire et leur âme.
L’écriture de Kessel revêt souvent cette dimension initiatique et poétique qu’on aime à trouver dans les bons romans d’aventure, elle se fait aussi épique quand le journaliste rapporte ses rencontres avec ces officiers français, mi-soldats, mi renégats, les capitaines Muller (l’inspirateur de La Châtelaine du Liban) ou Colet dont les exploits héroïques rappellent la figure de Lawrence d’Arabie. Comme le fera Saint-Exupéry dans Terre des Hommes, Kessel célèbre le courage de ces officiers à qui l’on refuse une légion d’honneur quand on l’accorde aux financiers véreux e aux tenanciers de tripots.

« Camp ». Les reportages de Kessel le sont moins par leur célébration virile du courage que par l’intime confiance en la vie qui les sous-tend. Il s’agit d’un univers encore ouvert qui autorise l’expérience du dépaysement, l’enthousiasme de la rencontre fortuite avec l’autre, la sensation du danger, la confrontation émerveillée aux espaces vierges du monde. Aux antipodes du notre menacé d’une déprimante uniformisation.

(1) Frederic Jameson, Raymond Chandler. Les Détections de la totalité, Les Prairies ordinaires, 2014.

Joseph Kessel, En Syrie, « Folio », Gallimard, octobre 2014.