Révision

La plupart des articles (traductions exceptées) ont été révisés au cours de l'automne 2014, d'où certains anachronismes au regard de la date de publication.

samedi 28 mai 2016

"Agatha Christie, le chapitre disparu"

Un fait divers intrigant 

Avec Agatha Christie, le chapitre disparue, Brigitte Kernel s’empare de l’un des épisodes les plus controversés de la vie d’Agatha Christie – la disparition de la romancière déjà célèbre au début de l’hiver 1926 ‑ et donne partiellement raison à François Rivière(1) qui verra dans cette péripétie l’acte de vengeance d’une  femme bafouée à l’encontre de son mari le major Christie. Rappelons les fait : en décembre 1926, le cabriolet d’Agatha Christie qui a fait une sortie de route est retrouvé en pleine campagne non loin de Guilford,
à quelques dizaines de mètres du lac de Silent Pool. Son manteau – on est en plein hiver ‑ est retrouvé à l’arrière de la voiture. Quant à la propriétaire du véhicule, elle s’est comme évanouie dans la nature.

Toute l’Angleterre en émoi 


Toute l’Angleterre se passionne bientôt pour cette disparition qui concorde si bien avec l’univers de la romancière. Si Madame Christie vient d’accéder à la renommée avec Le Meurtre de Roger Ackroyd, sa vie personnelle et sentimentale vire au cauchemar. 1926 constituera toujours pour la créatrice d’Hercule Poirot une sorte d’anus horribilis : elle a perdu sa mère dans le courant du mois de mars et à la fin de l’été, son mari Archibald lui annonce son intention de divorcer pour se remarier avec sa secrétaire, Nancy Neele.

http://www.ecoledeslettres.fr/actualites/litteratures/roman-contemporain-litteratures/agatha-christie-chapitre-disparu-de-brigitte-kernel/

"Phrères" de Claire Barré

Une bonne idée ne suffit certes pas à faire un bon roman mais il en faut quand même une pour écrire une œuvre digne de ce nom. Et la bonne idée de Claire Barré avec son Phrères, c’est de saisir, en ouverture du roman, Roger Gilbert Lecomte et son ami Daumal un 19 mars 1925, jour au cours duquel les deux adolescents ont décidé de se donner la mort. La suite du roman nous renverra onze jours plus tôt pour  nous faire vivre les journées qui précèdent le suicide programmé des deux futurs poètes.

L’idée est astucieuse parce qu’elle met en avant le poids, le rôle, l’omniprésence de la mort dans la vie et par conséquent dans l’œuvre de ces deux figures mineures de la littérature française qui pourraient bien un jour, à l’image de leur vénéré modèle Gérard de Nerval, accéder au rang des maîtres incontournables. 

La suite sur :

Elaborer une progression en terminale L

L'existence d'un programme national, la réduction des horaires à deux heures et des programmes à deux domaines d'étude, la nécessaire préparation des épreuves du bac occultent souvent la possibilité de construire l'enseignement de littérature selon une progression réfléchie et cohérente qui tiennent compte des spécificités de l’année de terminale. La réforme appliquée en 2012, tout en diminuant le nombre et la nature des domaines d’étude a maintenu un coefficient 4 à la discipline – le coefficient est le même que celui attribué à l’histoire géographie –  lui conférant une importance qui bien souvent justifie la tentation du bachotage. La plupart du temps les deux œuvres au programme sont abordées successivement par le professeur qui grosso modo passe un peu plus de quatre mois sur la première et consacre autant de temps à la seconde. Rappelons que les IO invitent à « diversifier les situations d'expression écrite et orale, sans se limiter à celles qui permettront d'évaluer les élèves à l'examen de fin d'année » et qu’elles incitent le professeur à introduire dans son enseignement des méthodes et des contenus utiles aux formations post-bac.
Nous proposons ici un exemple de progression annuelle qui vise à briser la routine des deux séquences centrées chacune sur une œuvre et à diversifier les approches pour l'année à venir, nous expliciterons ensuite brièvement les raisons de nos choix.

Séquence 1 : Introduction aux études littéraires (3 à 4 h.)
Objectifs : définir le texte littéraire, situer les approches critiques qui peuvent en être réalisées.
Séquence 2 : Lire Madame Bovary
(14 à 15 h.)
Objectifs : connaître la genèse de Madame Bovary, lire le roman et en apprécier les enjeux littéraires, s'initier aux épreuves du baccalauréat.
Séquence 3 : Situer les œuvres au programme dans leurs contextes littéraires. (7 à 8 h.)
Objectifs: réaliser un exposé oral sur les auteurs et notions esthétiques, école artistiques et/ou littéraires susceptibles d'éclairer le projet et la dimension esthétiques des œuvres. Prendre des notes.
Séquence 4 : Lire Oedipe Roi
(9 à 10h.)
Objectifs : lire la pièce de Sophocle, comprendre ses enjeux esthétiques et idéologiques en fonction du contexte de sa production. S'entraîner à l'écrit du bac.
Séquence 5 : La réception d'une œuvre dérangeante. (7 à 8 h.)
Objectifs : appréhender la dimension scandaleuse de l’œuvre de Flaubert, reconstituer le procès intenté par le ministère public. S'initier à la synthèse de texte.
Séquence 6 : De la tragédie au film à
(12 à 13 h.)
Objectifs : s'initier au langage cinématographique, analyser la lecture que fait Pasolini de la tragédie antique. Interroger les choix mis en œuvre dans le processus d'adaptation.
Séquence 7 : Les objets d'études et leur intérêt sur le plan littéraire. (5 à 6h)
Objectifs : élargir la réflexion suscitée par les domaines d’études en s’appuyant sur d’autres exemples relevant des champs littéraire ou cinématographique patrimoniaux.



Les Brontë à Bruxelles

Le 21 avril 2016, on célébrera le bicentenaire de la naissance de Charlotte Brontë. La romancière est certes connue pour son célébrissime « Jane Eyre », mais aussi pour avoir été la sœur d’Emily, auteur d’un chef-d’œuvre absolu, «Les Hauts de Hurle-Vent ». La « Brontë Society », qui a son siège au Brontë Parsonage Museum d’Haworth (le presbytère de ce village du Yorkshire où les soeurs ont passé la majeure partie de leurs brèves existences), se prépare à célébrer l’événement en multipliant les initiatives : commémorations diverses, conférences et publications. Et les librairies anglaises placent sur leurs gondoles, au milieu des best-sellers, la dernière biographie de Charlotte due à la plume experte et plusieurs fois primée de Claire Harman.
Sur le continent, l’éditeur belge CFC-Éditions anticipe le bicentenaire en publiant une traduction d’une excellente étude d’Helen MacEwan, écrivain d’origine britannique et Bruxelloise d’adoption, Les Sœurs Brontë à Bruxelles. L’ouvrage revient sur les deux années passées par Charlotte à Bruxelles. En février 1842, cette dernière, accompagnée par sa cadette, la taciturne Emily, débarque dans la capitale belge pour y parfaire son français. Elle a l’intention d’ouvrir, dans les murs du presbytère de Haworth, une école pour jeunes filles, et est persuadée que l’enseignement du français pourrait y attirer les jeunes femmes de la bourgeoisie avoisinante.
L’ouvrage d’Helen MacEwan s’intéresse autant à la biographie des deux sœurs qu’à la ville de Bruxelles dans les années 1840. Une riche documentation iconographique illustre le propos et permet au lecteur de découvrir les lieux qui ont inspiré Villette, le dernier roman de Charlotte Brontë, considéré par beaucoup (dont Virginia Woolf) comme son chefd’œuvre. La ville de Villette est, en réalité, Bruxelles, et l’intrigue reprend sur le mode fantasmatique les errances sentimentales de l’auteur.

L'intégralité de l'article sur : 
http://www.ecoledeslettres.fr/actualites/arts/21670/

Réforme, la promotion du vide

Le véritable débat sur la réforme des collèges aura-t-il lieu ? Ou serons-nous, une fois de plus obligés d'accorder crédit à ces discours, dits scientifiques et qui assurent que l'élève apprend mieux seul ou en collaboration avec ses congénères qu'avec un professeur. 
Le problème est bien aujourd’hui de savoir comment faire accéder le plus grand nombre à la culture. Et contrairement aux idées reçues, aux modes pédagogiques – car il y a des modes en pédagogie, nous sommes par exemple actuellement dans l’ère de la collaboration - elle même née de la fascination pour les outils numériques - : priorité donc aux travaux de groupes, à la performance collective. Ce ne sont hélas pas quelques heures de travaux de groupes interdisciplinaires qui donneront à l'élève en difficulté des chances accrues de réussite.
C’est à nous professeurs, en tant qu’individus forts d’une expérience, d’une passion, de faire admettre, comprendre et si possible apprécier, la valeur de ce que nous enseignons. Chaque discipline est porteuse de points de repères essentiels pour la culture et la formation d’un être humain. Il faut savoir le rappeler. L’histoire nous donne le sens de la collectivité et du devenir  humains, une appréhension de la notion de progrès, le français peut procurer le sens de l’expression juste et précise, les bases de l’esthétique, faire accéder à la subtilité du texte littéraire, les maths confrontent à la logique et à l’abstraction, les langues apprennent à communiquer différemment mais aussi à voir le monde autrement.
Ce sont ces valeurs, ces directions inhérentes à chaque discipline qu’il convient de manifester. Il est des réformes – et celle qui est en cours en fait partie – qui semblent dire aux professeurs : « Vous ne connaissez pas votre métier, vous ne savez pas transmettre, il faut faire autrement. Vous ne savez pas intéresser vos élèves, il faut qu’ils soient actifs, productifs entre eux, effacez-vous, laissez-les faire… »
L’empereur Hadrien selon Marguerite Yourcenar disait fort bien entrevoir une société où il n’y aurait peut-être plus d’esclaves mais où l’esclavage prendrait la forme plus insidieuse du divertissement. Une société où les hommes seraient esclaves de leurs divertissements. Nous y sommes. Ce qui distingue aujourd’hui les élèves qui réussissent de ceux qui échouent, c’est que bien souvent ils ont été éduqués, soutenus par des familles qui elles-mêmes savent, la valeur et les conditions de l’effort intellectuel. Ceux qui échouent sont bien souvent livrés seuls aux divertissements innombrables que notre société de consommation a imaginés.
L’école peut-elle compenser ces différences de milieux familiaux ? C’est possible mais il nous faut sortir de cet univers carnavalesque qui fait croire à l’inversion des valeurs. Et ce n’est pas une réforme qui préconise le travail de groupe et l’interdisciplinarité, sous couverts de travaux en sciences de l’éducation irréfutables (et par là-même suspects) qui changera quoi que ce soit.
Il faut que Mateo sache qu’il ne trouvera pas la liberté livré seul à facebook ou aux émissions de télé-réalité qu’il peut voir et revoir sur les écrans de sa chambre. Il faut qu’il apprenne qu’intello n’est pas une insulte, mais un beau mot – dans sa forme complète, en tout cas ‑ qui renvoie à l’une des plus nobles facultés de l’être humain.
Éduquer n’est pas le seul fait de l’école, l’éducation résulte d’un consensus, d’une convention qui engage toutes les parties de la société. Or s’il est bien un élément consensuel dans notre société, c’est le « bien des enfants ». Mais ce bien passe-t-il par la consommation effrénée des gadgets, par la transformation de nos bambins en geeks ou supporters de Nabila ? Le consensus, s’il existait, devrait porter sur la valorisation de l’effort.
Et ce que je reprocherais à la philosophie de cette reforme c’est de faire passer l’effort au second plan. D'accorder la priorité, pour ce qui concerne le français par exemple, à l’expression orale. C’est bien l’oral, mais encore faut-il avoir quelque chose à dire ! Je lui reprocherais également de minimiser le recours au patrimoine littéraire – j’aime la littérature pour la jeunesse mais il me semble qu’un projet de programme qui concerne la nation ne devrait pas placer sur le même plan, tel roman historique d’un auteur de littérature jeunesse à la mode et Victor Hugo. Je lui reproche enfin de reléguer la grammaire : sous le couvert d’éviter « l’inflation terminologique », on verra donc encore dans les ESPE, comme anciennement dans les IUFM, des formateurs considérer que le mot « conjonction » est un gros mot.
Le programme précédent qui n’était pas sans défaut avait focalisé – un peu trop peut-être – l’attention des professeurs sur la grammaire. Non sans raison malgré tout. Car combien d’élèves aujourd’hui sont à même, en seconde, de lire une pièce de Racine, une fable de La Fontaine, un conte de Voltaire ? Qui enseigne dans un lycée non sélectif est amené à faire ce constat au quotidien. Lisons le texte avec la classe, déplaçons les pronoms ou les adverbes et le texte classique se fait lisible. L’élève qui n’a pas été habitué à jouer avec la grammaire par le biais d’exercices un peu fastidieux n’accèdera jamais à ces textes. Il lui manquera aussi au lycée un outil d’analyse fondamental pour la relecture de ses propres écrits, pour le commentaire des textes littéraires, pour l’apprentissage des autres langues.

Alors réformer, pourquoi pas ? Mais réformons en valorisant le sens de l’effort et en prenant appui sur l’expérience des professeurs qui sont une fois de plus dépités de constater en quelle estime est tenu leur savoir-faire. Je consacrerai peut-être un jour une chronique à décrire les absurdités qu'on s'ingénie à inculquer aux professeurs stagiaires, d'absurdes détours qui n'ont qu'une fonction : déconsidérer les savoirs pour promouvoir un enseignement du vide. Edifiant!